Cours n° 15
L’enseignement du Bouddha originel
Les actes ? ? : Matrice et refuge !
Shakyamuni a déclaré : « Les êtres ont leurs actions comme biens propres, sont les héritiers de leurs propres actions, ont leurs actions comme matrice, leurs actions comme refuge. L’action divise tous les êtres en états haut et bas, inférieur et supérieur ». Le Bouddha enseigne donc que l’élévation ou la bassesse des êtres transparaît à travers leurs actes. Mais lorsqu’il dit que les êtres « sont les héritiers de leurs propres actions », cela pose problème car hériter, en général, n’est pas un acte volontaire. Hériter signifie que, avant l’héritage on n’en est pas possesseur, ensuite on l’obtient. Si tu hérites de tes actes, cela signifie donc que quelque chose tombe sur toi. Quand il dit que les êtres « ont leurs actions comme matrice », une matrice c’est un nid dans lequel tu es formé, et d’où tu émerge à un moment. L’être « sort » de ses actes, il sort donc en tant qu’effet. Lorsque Shakyamuni précise que les êtres ont « leurs actions comme refuge ». Mais qu’est-ce qu’un refuge ? C’est le lieu où l’on peut se sentir un peu « chez soi ». Donc, non seulement les êtres ont leurs actions comme matrice, ils naissent de…, et ont pour refuge également leurs propres actes, dans lesquels ils se sentent chez eux. Vous n’avez pas le sentiment que tout cela est bien circulaire ? En outre, quel type d’espace vierge pourrait-il accueillir les êtres entre la matrice et le refuge ? Aucun, il n’est donc que les actes.
Michelle : Le refuge… ?
C’est là où ils aboutissent, c’est-à-dire une nouvelle matrice. L’un est l’autre. Qui plus est, Nagarjuna déclare : « Les eaux de l’océan peuvent se dessécher, la terre du mont Sumeru peut s’épuiser, mais les actes des existences antérieures ne se consument jamais, ne s’épuisent jamais ». Quelle que soit la situation du sujet, ses actes l’accompagnent et entraînent leurs répercussions. Il n’est ni effacement ni perte des actes physiques, mentaux et vocaux. Nous, humains, avons le sentiment d’être nés de papas et de mamans à un moment précis, d’être sur une terre environnée de soleil, de lune et d’étoiles, et d’être dans une société, avec une langue, une culture, etc. Mais tel n’est pas ce que voit l’Eveillé. En effet, le Souverain de la Loi enseigne : « Du point de vue du sutra du Lotus, l’intégralité des existences du monde des phénomènes possède une signification profonde et indicible. Si l’on est uniquement prisonnier d’une conception scientifique moderne, on considère que le soleil, la lune sont de la matière et existent là du fait du hasard. Or, en réalité, la formation de cette terre, comme notre existence, résultent d’une profonde, inconcevable conditionnalité ». Nous nous percevons séparés de ce qui n’est pas nous, et distinguons ainsi le voisin de palier, du soleil, d’un arbre et de toutes sortes de choses. Or, en réalité, dans l’instantanéité des phénomènes, nous sommes inclus dans une inconcevable conditionnalité où tout est lié au point de constituer un corps unique. Là où, spontanément, nous verrons notre corps, notre appartement, nos proches, notre moi, comme des choses relativement stables et durables, il n’y a en réalité qu’une invisible instantanéité. Comme le disait Shakyamuni, en l’espace d’un claquement de doigts les phénomènes naissent et disparaissent soixante quatre fois. Mais nous ne pouvons le voir. L’humain se voit grandir, vieillir, grossir, maigrir, changer, en somme, mais rien ne lui fait perdre l’assurance avec laquelle il se croit être parfaitement identique à lui-même à travers le temps. La logique du « karma », propre au Bouddhisme, repose donc sur le fait que tout est instantané, et qu’il n’y a pas un « moi » séparé et distinct de tout le reste : tout est en fusion complète à chaque instant.
Brigitte : Et il n’y a pas d’accumulation.
Absolument. On n’est jamais le point d’aboutissement d’une infinité, parce qu’il serait éminemment contradictoire qu’une infinité commence où aboutisse. Mais l’instantanéité de fait de l’existence implique qu’il ne peut y avoir pour quoi que ce soit « apparition » ou « disparition ». Le Daishonin enseigne, bien entendu, que « l’accumulation des actes négatifs entraîne l’enfer, et que l’accumulation des actes positifs entraîne l’éveil ». Cela, tous peuvent logiquement le comprendre. Mais l’aspect réel des phénomènes n’est pas facile à imaginer et ne relève surtout pas de la logique humaine. Dès lors, parler des actes comme matrice et comme refuge nous permet de nous faire néanmoins une idée.
Catherine : Tout à l’heure, lorsque tu disais que les actes ne sont pas perdus…
C’est parce qu’il n’y a pas de temps en soi dans lequel les actes pourraient s’effilocher et se perdre. Où, si tu préfères, que nos actes sont notre corps et notre environnement, instantanés et immuables. Non deux.
Brigitte. Tout est sans origine.
Par exemple, lors de la guerre entre le Japon et la Chine, des médecins japonais possédant tous les pouvoirs ont effectué des expériences monstrueuses sur des êtres qui n’avaient, à leur yeux, guère de valeur. Après guerre, certains, impunis, ont repris leurs activités « normales » et ont pu penser au fil du temps que tout s’était effacé, que tout allait rentrer dans « l’ordre ». Certains ont pu imaginer que les actes passés n’étaient plus présents. Mais, même en devenant un excellent grand-père ou un bon gestionnaire du club de foot de la ville, c’est faux. Leur actes, à chaque instant, sont toujours leur propre corps et leur propre environnement, mais nul, hors l’éveillé, ne peut le voir.
Michelle : C’est ça l’héritage.
Oui. On jaillit à chaque instant de ce que l’on est. Et il n’y a pas « moi » et ce qui n’est pas « moi ». Il n’est donc pas de perte possible. Plutôt que d’envisager le karma comme une accumulation infinie de choses plus ou moins bonnes, mieux vaut considérer qu’à chaque instant nous sommes porteurs de ce que nous avons toujours été. Par exemple, une petite, récemment, a été gravement brûlée par un abruti éconduit qui l’a arrosée d’essence. Est-elle plus elle-même maintenant, qu’elle ne l’était avant d’être brûlée ? Pour elle c’est clair, elle était davantage elle-même avant ce crime. Mais le fait d’être dans cette situation présente n’est que son truc à elle, son « vouloir être ». Mais elle ne peut le voir. Elle fait comme tout le monde, on découvre !
Brigitte : C’est sans issue !
Personne ne peut être ailleurs, ou hors de lui-même. Comme le disait C. Chaplin : « Ce n’est pas la mort qui est inévitable, c’est l’existence ».
Michelle : Et donc si l’on pratique cela influe sur la matrice ?
Dans notre logique, nous créons par nos actes des racines de bien que nous « portons ». Les racines, en général, c’est ce qui permet aux végétaux de s’épanouir. Et bien, de la même manière que nous portons les racines de nos souffrances, de nos égarements à venir, nous pouvons augmenter le nombre et la force de nos bonnes racines. Mais tout n’est lié qu’à l’acte instantané.
Le Souverain de la Loi a déclaré : « L’univers, le monde sont constitués de terre, d’eau, de feu, de vent et d’espace. Dès que l’harmonie au sein de ces cinq éléments est détruite, des catastrophes se produisent de manière répétitive. Or, de plus, même vous-mêmes, Mesdames et Messieurs, êtes constitués de terre, d’eau, de feu, de vent et d’espace. En effet, l’élément « feu » représente la température de votre corps. Sans cette chaleur, on meurt. Ensuite, le va et vient du souffle produit lorsque vous respirez n’est autre que l’élément « vent ». Le sang correspond à l’élément « eau », la chair et les os à l’élément « terre ». La multitude des phénomènes se produit et nous existons nous-mêmes grâce à l’union harmonieuse des causes et des conditions des cinq éléments. Il faut ainsi savoir que notre existence est en relation intime avec la terre, l’eau, le feu, le vent et l’espace du monde des dharma dans son ensemble. Pour cette raison, en fonction de la loi de non-dualité entre l’homme et son environnement, les rétributions du bien et du mal apparaissent très explicitement au niveau des causes et des relations des êtres et des causes et relations au niveau du territoire ». Autrement dit, le bien et le mal que chacun porte en lui vont toujours se traduire par une harmonie provisoire et relative des constituants de son corps et de son environnement. Il s’agit donc de la configuration provisoire de la terre, de l’eau, du feu, du vent et de l’espace.
Brigitte : C’est ce qui fait que l’un et le meurtrier, l’autre la victime.
C’est cela, mais il serait vain de chercher un auteur réel, décisionnaire. Cela s’impose. C’est pour cela qu’on entend des « j’aurais pas cru », « si j’avais su », « mon intention était bonne », « je savais pas que.. », « j’avais pas le choix » etc.
Catherine : Et donc il y a toujours un corps.
Voilà. Et ce n’est pas en opposition avec la logique selon laquelle la matière n’est que de l’énergie. Qu’on arrête la lecture au stade de la terre, de l’eau, du feu, du vent et de l’espace, où qu’on la pousse au stade de l’énergie, où qu’on la pousse encore jusqu’au stade des cordes de la position quantique. Ce ne sont toujours que des mots. Que les « quantiques » parlent de leurs cordes, ouvertes ou fermées, en signalant que l’on peut également les concevoir sous forme de vibrations, et donc de mélodies, ce sont toujours des noms mis sur des effets quantifiables. Mais mettre un nom sur un effet, ce n’est pas approcher sa cause. En réalité il s’agit seulement et constamment des états d’enfer, d’avidité, d’animalité, etc. Le Souverain de la Loi enseigne : « Le Bouddhisme considère que la vérité réside dans le fait que l’intégralité du monde des phénomènes repose sur la loi des causes, conditions, effets et rétributions ». L’infinité phénoménale n’est donc constituée que de l’harmonie globale de la terre, de l’eau, du feu, du vent et de l’espace, harmonie régie par les causes, conditions, effets et rétributions. En outre, il enseigne encore : « Ces cinq éléments, tels quels, constituent les existences des deux lois de la matière et de l’esprit ». Là où nous, humains, croiront pouvoir distinguer entre la matière et l’esprit, il ne s’agit en fait que d’un assemblage variable de terre, d’eau, de feu, de vent et d’espace. En outre, ces deux aspects des choses que sont le corps et l’esprit sont sans commencement ni fin. Il n’est pas de point de départ où de point d’arrivée pour ces deux lois. « L’existence de la matière et de l’esprit transcende toutes les transformations dûes au temps, toutes les vicissitudes. Elle est éternelle. Les deux lois de la matière et de l’esprit, dans cette infinité, s’ouvrent sous la forme des dix mondes, allant de l’enfer au monde du Bouddha et subsistent en permanence » nous dit-il encore. Par exemple, les abrutis de chez Total sont actuellement contraints de payer une amende, pour avoir fait travailler des gens en esclavage en Birmanie. Et même s’ils emploient le terme de « pragmatisme économique », il ne s’agit en fait que d’ignorance, d’avidité et d’animalité. Les dix mondes existent en permanence, quelque soit les mots que l’on emploie.
Candrakirti, au cinquième siècle de notre ère écrit : « Sur l’espace repose l’air ; sur l’air, la masse des eaux ; sur elle, cette vaste terre ; sur la terre, les êtres. Ainsi la consommation de l’acte par les êtres a pour séjour l’espace ».
Michelle : Consommation… ?
Du fruit de l’acte, dans l’espace.
Catherine : C’est beau.
Il s’agit donc encore de l’harmonie globale de la terre, de l’eau, du feu, du vent et de l’espace. Or, nous, les êtres, nous verrons sur une terre qui possède une histoire, les mammouths, Neandertal, etc. mais en réalité tout est instantané dans l’infinité phénoménale. En outre, l’espace est le lieu où naissent en permanence la terre, l’eau, le feu et le vent, en fonction des causes, conditions, effets et rétributions.
Brigitte : Nous avons pour séjour l’espace.
Autrement dit, il n’y aura jamais d’impossibilité pour que chacun déguste les fruits de ses actes. Candrakirti déclare encore : « L’élément qui réalise la solidité du corps par force de cohésion, s’appelle terre. Celui qui accomplit la fonction d’assurer la continuité du corps, s’appelle eau. Celui qui assimile ce que le corps a mangé, bu, mâché, dégusté, s’appelle feu. Celui qui accomplit la fonction corporelle d’inspiration et d’expiration, s’appelle vent. Celui qui réalise la porosité interne du corps s’appelle espace. Celui qui actualise la personnalité du corps, à la manière de la botte de roseaux, s’appelle conscience.
Or, l’élément terre ne pense pas : « je réalise la solidité du corps ». L’élément eau ne pense pas : « j’accomplis la fonction d’assurer la continuité du corps ». L’élément feu ne pense pas : « j’assimile ce que le corps a mangé, bu, mâché, dégusté ». L’élément vent ne pense pas : « j’accomplis la fonction corporelle d’inspiration et d’expiration ». L’élément espace ne pense pas : « je réalise la porosité interne du corps ». L’élément conscience ne pense pas : « j’actualise la personnalité du corps ». Le corps lui-même ne pense pas : « je suis engendré par ces conditions ». Néanmoins, ces conditions existant, le corps se produit grâce à leur réunion.
Donc, l’élément terre n’est ni substance personnelle, ni être vivant, ni principe vital, ni créature, ni être né d’homme, ni être humain, ni féminin, ni masculin, ni neutre, ni moi, ni mien, ni appartenant à autrui. De même les éléments eau, feu, vent, espace et conscience ».
Nancy : C’est fou !
Catherine ; C’est comme un magma alors.
Pour cette raison, Shakyamuni déclare : « Celui qui appelle « moi » ce qui n’est pas un « moi » est un sot qui a peu entendu ». Comme le disait Nietzsche en peu de mots : « Eviter : je ».
L’invité de Catherine : C’est drôle : « Eviter : je ».
Ca choque hein ! Mais il est vrai que si l’on examine ce « je » en question, est-ce celui qui , à l’âge de trois ans, hurlait pour reprendre la poupée de sa voisine de crèche, est-ce celui qui, à dix huit ans, lorgne sur toutes les femmes qu’il croise, est-ce celui qui, grabataire, pense que la vie est mal fichue et trop courte ? Il est donc protéiforme et façonné par les conditions.
Brigitte : Ce n’est pas un acte en tant que cause, c’est un effet.
Catherine : Il est subi.
C’est un effet variable sur lequel nous n’avons aucune maîtrise. Nous, nous verrons un corps qui produit un esprit, une pensée, mais, selon l’enseignement du Bouddha, dans l’instantanéité tout n’est qu’un corps unique, le véritable « moi » s’étend donc à l’intégralité du « non-moi ». Le véritable « moi » est le « non-moi ». En d’autres termes, l’égoïsme bien considéré implique de faire atteindre l’éveil à l’intégralité phénoménale. Pour cette raison, Asanga déclare : « Celui qui connaît cela abandonne l’attachement à l’idée que le moi éprouve, perçoit, veut, se souvient, se souille et se purifie. Il pénètre l’idée du non-moi ». La personnalité ne peut ni apparaître, ni disparaître, c’est un fait, mais elle jaillit à chaque instant d’une infinité qu’elle va spontanément considérer comme non-moi, et là est l’erreur, la souffrance.
Michelle : C’est une forme de sélection…
C’est plus qu’une sélection. Non seulement l’objet de la conscience est le passé immédiat de notre réalité, « j’aime, j’aime pas, je veux, etc. », mais c’est la négation de tout ce qui constitue réellement la personnalité instantanée. Vivre comme cela, c’est ne jamais pouvoir être heureux.
Catherine : C’est humain.
Comme pour le lapin ! Comment voulez-vous qu’un lapin puisse voir les objets comme le cheval les voit ? Une mouche verra des objets de mouche, un lézard des objets de lézard et un boursicoteur des objets de boursicotage. Mais en quoi une forme, quelle qu’elle soit, pourrait affirmer que les objets qu’elle perçoit sont réellement tels qu’elle les perçoit ? L’humain n’est pas mieux placé, pour juger du caractère vrai des phénomènes, que le lapin ou le lézard. Par contre il est vrai que la perception est l’état intérieur du sujet, comme l’affirme Kant. Mais l’aspect réel des phénomènes n’est partagé que par les Bouddha.
Nagarjuna a déclaré : « Dans le temps de claquer les doigts, la pensée naît et périt soixante fois ». Comprenez qu’il y a des milliards de connections, chimiques ou électriques, entre nos neurones à chaque fraction d’instant. Il y a donc de l’échange d’information, en nous, à chaque instant, dont nous n’avons nullement conscience. Ce flux constant et changeant d’informations, pensez-vous vraiment que les images mentales qui vous traversent l’esprit en rendent compte de manière exhaustive ? Que nenni ! Quel rapport entre ce flux d’innombrables informations qu’est l’organisme et la pensée momentanée ? S’il s’opère en vous une rupture d’anévrisme, à votre insu, connaissiez-vous, pour autant, cet anévrisme ? Saviez-vous que vous l’aviez créé ? La conscience n’est qu’un épiphénomène, en terme d’effet. Rien de grand ou de respectable. Pour cette raison, le vénéré Shakya a enseigné : « Mieux vaut considérer comme un « moi » ce corps fait des cinq éléments plutôt que la pensée. On voit ce corps durer un an, cinquante ans, cent ans, davantage. Mais ce qui porte le nom de pensée, esprit, connaissance, de nuit et de jour, naît autre, périt autre. De même qu’un singe prend une branche, la lâche, en prend une autre… ». De ce point de vue, le corps apparaît donc plus « stable » que la pensée. Pourtant le Souverain de la Loi enseigne : « Le monde conditionné désigne toutes les vicissitudes de notre vie présente, provoquées par nos actes, eux-mêmes produits en fonction des causes et conditions. La vie humaine et son territoire sont semblables à des bulles à la surface de l’eau ; ils sont le monde conditionné ». Si vous faites bouillir de l’eau dans une grosse marmite, vous constaterez que la surface de l’eau est à tout le moins instable. Cette foule de bulles qui naissent et meurent sont l’expression même de la relation de l’être dans son environnement. Mais, étant humains, nous ne pouvons le percevoir. Nous sommes faits de façon à voir une stabilité, ma femme, mon appartement, ma voiture, alors même que tout change constamment. Du reste, que tout naisse et disparaisse constamment est la seule explication logique au constat du changement et de la dégradation des choses. D’autre part, toutes les vicissitudes de notre vie présente sont provoquées par nos actes, soit. Mais ces actes sont « eux-mêmes produits en fonction des causes et conditions ». Autrement dit, les actes du corps, de la pensée et vocaux, qui apparaissent, sont des effets qui s’imposent. Il n’est donc pas, à strictement parler, d’acteur. Avoir un corps, des pensées et des paroles ne sont que les effets du passé lointain.
Catherine : Les actes ne sont fait que par les causes/conditions.
En outre, dans notre école, la cause, nyoze in, c’est-à-dire le karma, et les conditions, nyoze en, ne sont pas deux. Ce qui est inconcevable. Pour cette raison, probablement, Nagarjuna peut affirmer : « Ce qui est né ne peut mourir », ce qui heurte le bon sens le plus commun car ce qui est né doit, par principe, mourir. Mais je pense qu’il traite là de la position humaine qui voit apparaître et disparaître les choses et veut dire, en substance, « ce que vous voyez naître, vous humain, est permanent ». Il dira également, à propos des phénomènes : « Non nés, non détruits, non anéantis, non éternels, ni identiques, ni différents, sans allée, ni venue ». Telle est la personnalité profonde de chacun des multiples phénomènes.
Brigitte : Il est vrai que je ne peux pas me réveiller un matin en étant Nancy, et pourtant je change tout le temps.
Nancy : Tu me passes un coup de fil sinon.
Catherine : Oui, nous on bloque sur l’apparition et la disparition, c’est ce qu’on voit.
Juste après la fondation de l’école, en 1253, le Daishonin écrit : « Non seulement l’Ainsi-venu Mahavairocana mais également tous les êtres tels que nous, jusqu’aux grillons, fourmis, moustiques et mouches, tous sont la forme et l’esprit sans commencement ni fin. Penser qu’il y a un début et une fin pour les êtres relève des vues erronées des voies extérieures ». Il n’est donc que les personnes hors le Bouddhisme qui considèrent que les choses et les êtres ont un début et une fin. Dans l’évolution de l’enfant, il y a un moment où il ne pleure plus si on dissimule son jouet sous le tapis. Il réalise que l’objet est là alors même qu’il ne le voit plus, et soulève alors le tapis. Il est donc un stade de l’évolution où ce qui n’est pas là est quand même là, nonobstant la vision classique. C’est ce à quoi nous pouvons nous éveiller.
Nancy : C’est ce qui est le plus dur.
Je vous l’accorde. Mais déjà, le savoir et en être persuadé est une bonne chose. Cela nous rapproche de l’éveil. Vous savez, chaque chose est constituée de caractéristiques la rendant unique. Dès lors, pour les grecs d’avant Socrate, elle ne pouvait provenir de rien, du vide. Ni retourner au vide. Cela leur apparaissait parfaitement improbable. Ils ont accueilli la notion de « création à partir du vide » avec d’extrêmes réserves, voire avec des éclats de rire.
Brigitte : Nietzsche a bien vu ce point.
Certes, Schopenhauer également. Le Souverain de la Loi enseigne, nous en avons déjà parlé : « Tant qu’il vit, l’être humain s’exprime en tant que son et en tant que corps, devenant alors écho et ombre après sa mort ». Si l’humain apparaît en tant que son et en tant que corps, ce son et ce corps sont des effets, et ceux-ci entraînent l’écho du son, et l’ombre du corps après la mort. Le « son » est ce que l’être entend en lui-même, et également ce qu’il profère. L’humain est donc à la fois un son entendu et un son exprimé. Qu’en dit Nagarjuna ?: « Le son qui va et qui vient, manifeste le langage. Il n’y a pas, là, d’agent ». Bien qu’il y ait un langage ressenti en soi et exprimé à l’extérieur, il n’y a pas d’agent. La raison en est que le langage ressenti en soi est un état, et que les états s’imposent, selon les conditions, sans que nous en soyons maîtres. La pensée apparaît en tant que langage, et ce langage n’est que la traduction de l’état momentané ressenti. Shakyamuni enseigne : « Des événements se produisent, de par le monde, mais il n’y a pas d’acteur ».
Roberte : Donc, à l’ordinaire, on est piégés !
Le sujet est passif. C’est en le sujet que le verbe naît, mais c’est à son insu ; il en est prisonnier. Pourtant, tout le monde est obligé de croire en ce qui parle en lui, en ce qu’il voit, en ce qu’il touche. Le « vrai » s’impose à l’évidence pour tout ce qui perçoit. Il n’est pas de choix.
Nancy : Mais c’est faux !
C’est le corps dans son environnement qui nous impose nos séries d’images mentales et donc l’entendu. D’ailleurs, à ce propos, il va de soi que la formule « Au commencement était le verbe » n’est qu’une vaine tentative de plus pour nous faire croire en un sujet décisionnaire et, qui plus est, spirituel. Or, il n’est pas de commencement et, s’il y a un son, c’est un corps qui l’entend sans en être l’auteur. L’entendu est l’état ressenti. Un lion a un entendu propre au corps nommé lion et une cigale a un entendu propre au corps nommé cigale. Il en va de même pour les dix états, qui sont à l’origine. Or, l’entendu du dixième état est Myoho Renge Kyo. En conséquence, lorsque nous, êtres ordinaires, récitons Nam Myoho Renge Kyo grâce à la grande bienveillance du Bouddha originel, nous sommes dans l’effet de l’éveil au sein des six voies, et nous nous dirigeons vers l’établissement de la cause en nous. C’est pour cette raison, probablement, que le Souverain de la Loi a déclaré que le beau ou le laid de l’entendu conditionne l’existence au cours des trois phases du temps. Notons encore que l’entendu est toujours retranscrit physiquement, pour qui sait voir. Pour qui ne peut voir il trouvera normal d’appeler un chat un « chat », ou un cat un « cat ».
Nagarjuna dit encore : « Les sots conçoivent comme corps ce qui n’est pas un corps, et comme pensée ce qui n’est pas une pensée ». Cela signifie que nous sommes enclins, nous les sots, à considérer notre corps comme étant bien réel et durable, voire même comme l’objet de notre orgueil, alors que ce n’est que l’assemblage provisoire d’éléments hétérogènes dont nous ne sommes en aucun cas les maîtres. Et que nous sommes persuadés d’être l’auteur de nos pensées, en toute liberté, alors qu’elles s’imposent à notre insu.
Nancy : C’est vrai, tout le monde se croit l’auteur de ses pensées !
Brigitte : Je fais ce que je veux !
Nagarjuna enseigne encore : « Considérer les sons comme un écho et les activités du corps comme un reflet ».
La foule unanime : C’est beau.
Donc le son est un écho, il provient de la « matrice » que sont nos actes depuis une infinité, et le corps est un reflet provisoire et évolutif.
Catherine : On a donc le corps qui correspond à nos actes, le corps qui nous revient.
Bien sûr, mais dans sa fusion instantanée avec l’infinité environnementale. Ce qui n’est pas une lecture facile pour le tout venant. On ne peut, à quatre vingts ans, marcher courbé et tordu d’une manière ou d’une autre sans que tous les actes du sujet n’y aient concouru. Le corps et l’environnement sont nécessairement l’empreinte de la personnalité du sujet, puisqu’ils ne sont pas deux. Mais seul le Bouddha le voit vraiment, les autres ne voient que leur propre corps, comme le disait Merleau Ponty. Pour en revenir au son en soi-même, qui est un écho, Nietzsche a écrit : « La pensée surgit en moi, d’où vient-elle ? à travers quoi ? je l’ignore. Elle se présente, indépendamment de ma volonté ». La pensée n’est pas un acte mais un effet.
Catherine : Ca, on arrive à le concevoir. On ne choisit pas un état de tristesse, par exemple, on essaie d’en sortir au contraire…
Nietzsche écrit encore : « Sentir, vouloir, penser ne témoignent partout que de phénomènes terminaux dont les causes me sont tout à fait inconnues ». Je crois que c’est clair. Heidegger, quelque temps après déclare : « La parole parle elle-même » et, plus précis encore : « La parole est toujours déjà en avance sur nous. Nous ne faisons que parler à sa suite ». La parole est donc bel et bien entendue, en nous-mêmes. Et enfin : « Parler est avant tout écouter ». Ces points sont donc admis dans le Bouddhisme et par certains penseurs occidentaux. Souvenons-nous néanmoins de Parménide qui avait déjà proclamé, cinq siècle avant notre ère : « Etre, c’est être pensé ». Ce qui est trop drôle, et a projeté tous nos philologues dans le désarroi le plus total !
Le Souverain de la Loi a déclaré : « Rien, même le karma, n’existe de manière individuelle ou en tant que « moi » indépendant. Toute chose existe à l’intérieur du jeu des causes et des conditions du monde des phénomènes de l’univers. Aucun corps, aucune existence n’existe en tant qu’individualité. L’aspect de la causalité est que chaque chose fait partie du tout, changeant en bien ou en mal, mais tout en étant en mutuelle relation avec tout le reste ».
Nancy : Qui dit ça ?
Nikken Shonin. Nous, humains, nous percevons comme une individualité au sein d’un monde, comme le penseront Heidegger ou Sartre, alors que tout, dans l’instantanéité, est en fusion globale harmonieuse. Mais seul le Bouddha le voit. Et, comme tout est instantané, rien n’est là avant la perception.
Brigitte : On est le monde.
Chacun trimbale le sien, mais rien n’est avant l’efficience singulière de chaque phénomène. L’idée bête selon laquelle on serait « jeté dans » un monde, implique de croire en un sujet perdurant à l’identique, ce qui ne peut être. Souvenons-nous de Nietzsche qui, dans un raccourci saisissant déclare : « Un « après ceci » n’est pas un « à cause » de ceci ». Mais tout le monde pense le contraire.
Catherine : On ne peut donc quitter ce monde ?
Tu ne peux quitter le tien.
Catherine : A aucun moment. Pas une seconde ?
Comment veux-tu qu’un lapin, une seconde, ne soit pas un lapin ? Et qu’il puisse voir les choses comme un aigle ? Il ne peut voir que le monde que son corps porte. Et tout fonctionne sur le même mode. Il n’est aucune supériorité d’une forme sur une autre, mais l’humain a davantage de possibilités pour s’éveiller que la tortue.
L’invité de Catherine : Ca fait beaucoup de choses tout ça !
Vous n’y étiez guère préparé, mais j’essaie d’être clair. Le Daishonin, dans son enseignement oral, déclare : « Le monde des phénomènes est Myoho, le monde des phénomènes est Renge, le monde des phénomènes est Kyo ». Le phénomène, en japonais, est « Ho ». Lorsque le Daishonin déclare que le monde des phénomènes est Myoho, cela signifie que l’intégralité phénoménale, à chaque instant, jaillit de et retourne dans la merveille : « Myo ». Ceci soixante quatre fois dans l’espace d’un claquement de doigts. Telle est la merveille, pour le Bouddha, et l’obscurité, pour le simple mortel. « Le monde des phénomènes est Renge » signifie que tout phénomène est la Loi merveilleuse de la simultanéité de la cause et de l’effet : Renge. Tout est donc sans commencement ni fin, et rien ne peut se considérer comme l’aboutissement d’une infinité. Enfin, « le monde des phénomènes est Kyo », éclaire la permanence inconditionnelle de tout ce qui est.
Brigitte : Donc il n’y a pas d’issue, mais tout est possible à chaque instant.
De l’enfer le plus noir à l’éveil ultime.
Catherine : A condition de sortir de cette « matrice ».
C’est pour cela que l’on produit le corps du Bouddha lors de la récitation, et ce, quelque soit les pensées qui nous traversent l’esprit. S’il suffisait de lire une fois ou deux l’œuvre de Kant, beaucoup d’êtres seraient déjà éveillés. Or !
Brigitte : Oui. Si on subit toujours les actes, on ne peut en sortir.
Donc Myoho est le grand Moi, qui inclut l’infinité phénoménale, Renge est la pureté potentielle de tout ce qui est, et Kyo est la permanence.
Michelle : Donc le « petit moi », le moi réduit c’est Ho, le phénomène momentané ?
Exactement. La « personnalité » ordinaire apparaît toujours comme étant le moi réduit à la sensation momentanée. La personnalité est donc invariable, mais elle peut être l’expression d’un état ou d’un autre, de l’enfer à l’éveil.
Brigitte : La personnalité c’est ce qui fait qu’on ne peut pas confondre untel et un autre.
C’est cela. Et donc la pratique permet à chacun de faire apparaître toute la grandeur de sa personnalité.
Nous lisons, dans l’école chinoise du Tiantai : « Il n’est pas une couleur, ni un parfum qui ne soit dans la voie du milieu ». Cela signifie que, dans cette doctrine, tout ce qui est est produit par les conditions, et donc conditionnel, tout ce qui est contient la vacuité, c’est-à-dire contient tous les possibles, il n’est donc pas un phénomène qui serait déprécié par rapport à un autre, et enfin médian, c’est-à-dire présentant son aspect réel et permanent. Le Souverain de la Loi commente : « Une couleur représente le monde matériel. Par exemple, d’innombrables poussières flottent dans l’air de cette salle de cours. Chaque minuscule grain de poussière représente aussi « une couleur ». Cette couleur est, telle qu’elle, la voie du milieu. Tout est doté de la triple vérité : vacuité, conditionnalité et milieu. « Tout » désigne, en fait, la Une pensée trois mille ». Cela signifie que l’intégralité du monde que nous percevons en termes de « matière », de forme, est en fait Une pensée trois mille. Ce qui, pour nous humains, est inconcevable. Mais en réalité, tout ce qui jaillit à chaque instant est la Une pensée de l’enfer, de l’avidité, de la colère, de l’humanité, etc. Donc, la Une pensée jaillit à chaque instant en même temps que l’infinité phénoménale..
Michelle : Les trois mille.
C’est cela. Elle est donc inclusive de l’infinité et, si l’on pratique, imprègne l’infinité. Par contre, hors la pratique, la Une pensée n’imprègne pas l’infinité car les phénomènes sont en appui les uns sur les autres sans que jamais l’un influence l’autre. Il n’y a qu’harmonie globale dans les six voies, chaque phénomène étant absolu, inconditionné. Aucun phénomène ne peut être cause de quoi que ce soit pour un autre phénomène.
Catherine : Tu veux dire que les phénomènes ne sont pas véritablement en contact les uns avec les autres ?
Jamais dans les six voies. Il n’y a jamais de réel contact entre toi et ta mère, toi et ta sœur, toi et ton mec, ou toi et tes enfants. Il n’est pas d’influence.
Catherine : C’est triste.
Ce n’est pas, là, pure méchanceté de ma part. Ce qui est triste c’est de constater que les êtres croient le contraire. Cela ne provoque que de vains tourments.
Catherine : C’est une sorte d’équilibre…
Une harmonie globale dans les six voies. Par contre, dès que l’on entre dans la voie de l’éveil on entraîne l’infinité de notre propre monde. En fait, pratiquer matin et soir est l’apparition de la bienveillance du Bouddha pour les êtres, dans notre corps, dans ce monde. C’est-à-dire que, soit l’existence est le fruit des causes et des conditions, et cela est sans origine, soit nous pratiquons l’enseignement du Bouddha originel et dans ce cas nous faisons apparaître le corps du Bouddha dans ce monde par bienveillance envers les êtres. Telle est la différence. Et, en ce qui concerne les troubles que nous pouvons avoir, c’est pour montrer aux êtres ordinaires que nous sommes comme eux, pas différents, et peut-être même moins talentueux. Ils peuvent donc également faire comme nous.
Michelle : Tu veux dire que, en réalité, nous pratiquons par bienveillance et non pour atteindre ceci ou cela ?
C’est cela même. C’est le sens des moyens merveilleux du Bouddha. Pratiquer c’est être « dans », et non pratiquer « pour ». Du jour où nous entendons la Loi, et commençons à pratiquer, notre vie bascule. Elle passe d’une existence qui n’est qu’une somme d’effets conditionnels, à une existence mue par la bienveillance envers les êtres. Tout à l’heure nous évoquions le fait qu’il n’y a pas « d’êtres vivants », que l’élément terre ne pense pas « je fais ceci », que l’élément eau ne pense pas « je fais cela », que ce n’est qu’un agglomérat provisoire en tant qu’effet. Que l’être ne possède pas réellement le principe de son existence. Les seuls êtres nommés « vivants » par le Bouddha sont donc ceux qui entrent dans la voie, s’affranchissent des naissances et des morts imposées, et guident l’infinité des êtres vers l’éveil. Le Souverain de la Loi a enseigné que tous les saints ont rejeté la vie qu’ils subissaient depuis une infinité. Etre réellement « vivant » c’est rejeter ce que l’on subit, depuis le sans origine. C’est pour cette raison que l’on dira du bodhisattva qu’il possède deux corps. Un corps de chair conféré par les parents, et le corps de la Loi. La pratique matin et soir est l’apparition du corps de la Loi en notre corps de chair. Ce corps de la Loi fait que nous devenons réellement « vivant ». Les autres êtres ne sont que des conséquences que personne ne dirige.
Michelle : Ils ne font que subir.
Le corps est subi, la parole est subie et la pensée est subie.
Catherine : Quand tu dis qu’il n’y a pas de communication réelle entre les êtres tu veux dire qu’il n’y a pas de perception ?
Ni perception, ni action. Du reste, dans l’enseignement de l’éveillé « percevoir », c’est intervenir. Il n’y a que dans le monde humain que l’on sépare en deux choses distinctes une chose qui n’existe pas pour eux. Voir et agir n’est pas, en effet, de leur ressort.
Roberte. Cela veux dire aussi que pratiquer est la seul action.
Bien sûr. Et cela entraîne la « vue ». Tous les phénomènes sont Myoho Renge Kyo. Quand tu pratiques tu soulèves en eux leur état d’éveil et tu les diriges, tu touches tous les êtres. C’est ce qu’enseigne le Bouddha originel, la nature de Bouddha de tous les êtres est appelée.
Roberte : Tu parlais du corps en trois corps, il y a le corps de la Loi, le corps de communication, c’est-à-dire le corps physique, et le troisième…
La sagesse. C’est-à-dire la rétribution de la pratique. En fait, le Bouddha fusionne avec le corps de la Loi et, ce qui en découle, c’est la sagesse fusionnant avec son objet : le corps de la Loi. Le corps de communication, quant à lui, se métamorphose en réponse à l’attente des êtres.
Shakyamuni a enseigné : « Ceci, ô disciples, n’est pas votre corps ni le corps des autres ; il faut le considérer comme l’œuvre du passé ayant pris forme, réalisée par la pensée devenue palpable ». Tout ce qui est n’est donc que « Une pensée », dans les dix mondes. Mais nous ne voyons, nous les êtres, que des formes, de la « matière ». Et nous plaquerons des noms en discriminant : « fleuve », « léopard », « montagne », « général de brigade », là où il n’y a que les six premières voies.
Brigitte : Non, c’est vrai, ce n’est pas méchant ce qu’il dit.
Le Souverain de la Loi déclare : « Notre vie existe à travers ces deux éléments que sont la matière et l’esprit. Notre manière d’être, physiquement et spirituellement depuis les vies passées, constitue la cause de ce que nous sommes aujourd’hui ». L’état présent des choses, c’est-à-dire moi dans mon environnement, est toujours la conséquence instantanée d’une infinité d’actes du passé. Si l’on accepte, bien entendu, la logique linéaire passé, présent et futur, car en réalité une infinité ne saurait aboutir à un point appelé « présent ». Mais, quoi qu’il en soit de notre capacité d’approche de ce point, nous sommes toujours son et corps.
Michelle : La causalité est plutôt en « profondeur », que linéaire.
Lorsque nous disons que la cause et l’effet sont simultanés, cela ne signifie pas que ceci entraîne cela, comme les humains sont en général portés à le croire. Car pour eux, avant il n’y a rien et, tout à coup, les circonstances font que ceci apparaît. C’est également ce que nous voyons. Ce qui apparaît semble provenir des choses qui l’ont précédé. Mais c’est illusoire car tout est instantané. Et nous, dans le Bouddhisme, appellerons « cause » le complexe insondable de causes multiples donnant, dans l’instant, simultanément, les effets multiples que sont le corps, la pensée et l’environnement du sujet. La source d’où provient ce flux, en terme de cause, est la merveille, Myo, avec laquelle l’éveillé fusionne. En d’autres termes il s’agit du corps de la Loi. Mais nous ne percevons jamais que l’effet, et il est hors de notre portée de percevoir la « cause ».
Cette cause n’est en fait nullement dans le « passé », elle est le support instantané du présent.
Michelle : Mais nous, lorsque nous percevons un effet, nous en cherchons spontanément la cause dans le passé.
C’est la raison pour laquelle il n’est pas de sagesse réelle chez l’humain. Et ce que nous appelons le « présent », c’est-à-dire percevoir, n’est que le passé immédiat de notre aspect réel. Shakyamuni disait que le corps est tel une cascade, tel un éclair. Ca va vite tout ça ! Là ou nous verrons un corps, il s’agit en réalité d’un flux momentané d’éléments hétérogènes qui nous est absolument invisible.
Catherine : Oui, mais nous sommes obligés de constater une identité, la cascade est à tel endroit, et Nancy habite ici.
Oui. Et c’est du reste aussi la fonction du langage. Le nom, le mot, a pour fonction de « figer » la chose, pour qu’on puisse « s’entendre » entre nous. Mais les mots du langage ne touchent jamais l’objet désigné, ils font allusion à tous les objets, passés, présents et futurs, à peu près « identiques ». Ce qui ne peut aboutir à quoique ce soit de réel.
Brigitte : Dans l’éveil, ce n’est plus ça.
Il voit les états, dont il sait que la substance est Myoho Renge Kyo. Mais il emploie les mots des êtres pour les enseigner.
Michelle : Donc, l’identité n’existe pas.
Cinq siècles avant notre ère, Héraclite d’Ephèse avait déclaré qu’on ne peut se baigner deux fois dans le même fleuve, soulignant par là même l’impitoyable changement de tout : le flux incessant du devenir. Devant cette effroyable mouvance certains, à partir de Platon et surtout d’Aristote, ont jugé bon d’en revenir à une certaine « fixation » des choses, à des concepts solidement établis, sinon, de quoi allaient-ils bien pouvoir parler, qu’allaient-ils pouvoir transmettre à la postérité ?
Brigitte : Ah Oui ! Pour transmettre un savoir, il faut avant tout s’entendre sur le sens des mots.
Si, devant une forêt, je m’exclame : « Oh, les belles allumettes ! », vous allez me dire que ce n’est pas tout à fait faux car les allumettes viennent effectivement des arbres, mais que personne ne comprend ce que je dis, que mes mots ne sont pas appropriés. D’où : le cortège des distinctions.
Revenons-en à nos moutons. Donc, nous disions que l’être est « son et corps ». Il est écrit dans le Lotus : « S’il en est qui entendent la Loi, pas un ne manque de devenir Bouddha ». Le fait d’entendre la Loi, et à plus forte raison de la pratiquer, va devenir un nouvel « entendu » en nous. Comme nous sommes toujours constitués de sons, en nous, qui deviennent nos pensées et nos propos, entendre le discours de l’éveillé, c’est-à-dire la Loi, devient la matrice de notre éveil. Le Daishonin enseigne : « Le monde de l’endurance est le pays où l’on obtient la voie par la racine de l’ouïe ». Il dit encore : « L’essentiel de ce sutra réside principalement dans l’écoute ». Entendre a donc un rôle primordial dans l’accès à l’éveil. Le Daishonin, se mettant à la place du simple mortel, enseigne également : « Depuis le sans commencement, l’errance de mon cœur, à l’intérieur de mon corps, m’a amené à tourner inlassablement dans le cycle des vies et des morts. A présent, ayant rencontré ce sutra, j’apparais comme celui qui récite l’Ainsi venant à l’éveil originel au triple corps en un. Attester intérieurement de l’éveil dans cette vie s’appelle devenir Bouddha dès ce corps ». Nichiren utilise l’expression « réciter l’Ainsi venant », cette expression signifie que réciter Nam Myoho Renge Kyo est l’apparition immédiate du Bouddha originel. Errer depuis le sans commencement dans les vies et les morts, puis, entendre, et donc pouvoir reproduire par la voix, le corps du Bouddha, est sortir des six voies en faisant apparaître le Bouddha. Il enseigne encore : « Lorsque l’on récite Myoho Renge Kyo, l’Ainsi venant de la nature de notre cœur se révèle alors. Ceux qui l’entendent voient s’effacer leurs crimes, commis pendant une infinité d’éons incalculables ».
Brigitte : C’est une façon de parler ?
Ah non ! Pas du tout. Au sein du flux des pensées des six voies qui nous traversent depuis le sans commencement, l’audition de la Loi constitue une fracture irrémédiable, définitive. Ensuite, nous obtenons l’éveil. Plus précisément, nos basses propensions seront toujours existantes, mais l’éveil les entraîne peu à peu. Le Souverain de la Loi a déclaré, en substance, que ce n’est que notre opposition à la Loi qui fait de nous un être ordinaire. Rejetons l’offense à la Loi, en pratiquant, et nous devenons le Bouddha.
Roberte : Donc, l’opposition à la Loi c’est ne pas prendre et ne pas garder.
Brigitte : Et comme on subit notre existence, on fait n’importe quoi.
Il n’y a pas d’acteur réellement décisionnaire qui pourrait se dire, en toute connaissance de cause : « Ah ben tiens, je vais choisir d’être complètement con pendant six mille ans » !
Mais le grand maître Miao le enseigne « Qu’on l’accepte ou qu’on le rejette, cela devient la condition, par l’intermédiaire des oreilles. Que l’on s’y conforme ou que l’on s’en détourne, finalement, c’est la cause de la récolte ». Et le Daishonin de souligner : « Même sans y croire, cela devient graine, qui mûrit progressivement ». Il s’agit donc d’entendre.
Brigitte : Même si on n’écoute pas, même si on ne comprend rien.
Voilà. Même si on s’y oppose. Alors évidemment, si l’on pratique matin et soir, l’entendu est gigantesque. Nous venons de le voir, le Daishonin écrit : « j’apparais comme celui qui récite l’Ainsi venant ». Zhiyi en chine a enseigné : « La récitation de la lettre du sutra est la respiration du corps de la Loi ». Tout cela est vrai. Lorsqu’on récite le sutra, un corps respire, un corps se manifeste. Pour cette raison le Daishonin écrit : « Les sages doivent associer la contemplation du cœur à la lecture et à la récitation. Les sots, même s’ils ne récitent que Nam Myoho Renge Kyo, rencontrent eux aussi le principe ». La pratique n’est donc pas liée à l’intelligence, il n’est question que de garder en soi et de réciter. La raison en est que réciter Nam Myoho Renge Kyo est ce qui permet l’observation de ce dont provient la pensée, c’est-à-dire le cœur. L’observation du cœur ne consiste donc pas à s’asseoir quelque part pour voir défiler ses pensées afin de savoir « qui » on est, mais de pratiquer physiquement, ce qui permet de s’éveiller au fait que nos pensées naissent de « quelque chose » que nous ne dominons pas. A savoir la simultanéité du corps et de l’environnement instantanés, qui ne sont pas deux, et sont un effet. Seule la pratique permet de toucher la « cause » hors le temps de cette réalité. C’est ce qu’enseigne le Daishonin : « Ainsi, au moment où l’on récite Myoho Renge Kyo, apparaît alors le Bouddha à l’éveil originel contenu dans notre cœur ». Il poursuit : « Il est difficile de comprendre que la récitation de Nam Myoho Renge Kyo est identique à la contemplation de la pensée. Les sots doivent cependant réfléchir à cette affirmation ». Puisque la pensée n’est pas un acte décisionnaire, et puisqu’elle n’est que la traduction d’un « entendu » qui s’impose, ce qui est urgent c’est de s’éveiller immédiatement à ce qu’on a toujours été, à notre insu.
Michelle : On peut comprendre que tout a toujours été effet.
Le Daishonin enseigne : « Supposons dix hommes. Chacun possède des greniers (notre corps et notre esprit), dans lesquels s’accumulent des trésors. Or, il n’ont pas connaissance de ces trésors. Aussi meurent-ils de faim, meurent-ils de soif sans les utiliser. Admettons que l’un d’entre eux, un homme intelligent s’éveille alors. Les neuf autres, jusqu’à la fin, demeurent malgré tout dans l’ignorance. Toutefois, si l’éveillé leur enseigne comment manger, ou encore, s’il leur introduit lui-même (la nourriture dans la bouche), ils mangent quand même ». Nous avons à faire à des êtres qui sont absolument persuadés d’exister librement, de penser librement et d’êtres libres de tous leurs actes. Touché par cette masse présente et à venir de souffrances, le Bouddha met dans la bouche des êtres Myoho Renge Kyo en leur faisant entendre. Ensuite, les êtres commencent à mastiquer machinalement et enfin découvrent la saveur de la Loi. Il en va de même, maintenant, pour nous qui pratiquons. Il convient que nous mettions la Loi dans l’esprit des êtres.
Le Daishonin enseigne : « Lorsqu’il s’agit du Bouddha de l’éveil merveilleux, faisant émerger l’éveil de l’Ainsi venant à l’éveil originel, nous sommes le père et la mère de l’éveil merveilleux et le Bouddha est le fils auquel nous donnons naissance ». Nous, êtres ordinaires dans les six voies, nous sommes le père et la mère de l’éveil merveilleux et le Bouddha est notre fils. Il est dit dans le Tiantai : « L’arrêt (des pensées polluées) est la mère de l’éveillé, la contemplation (de l’objet de vénération) est son père ». La récitation de Nam Myoho Renge Kyo devant le Honzon, en ne s’attachant pas aux pensées qui naissent et disparaissent, sont donc le père et la mère de l’éveillé.
Je vous remercie de votre attention.
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