Cours n°7

 

L’enseignement du Bouddha Originel

Des bénéfices de la pratique

 

Pour nous remettre dans l’optique du Bouddha, quant au monde de l’existence, le vénéré Shakyamuni déclare : « A cet instant précis, Ô moines, vous naissez, vous vieillissez et vous mourez ». Tel est donc ce que perçoit Shakyamuni.

Nancy : A cet instant ?

C’est cela. Celui-ci. Et le commentaire de dire : « A chaque instant on est un homme neuf, car à chaque instant on naît et on meurt. Le temps de croiser les bras et l’on est un autre. A quoi bon attendre d’avoir les cheveux blancs pour comprendre que l’on a changé » ?

Dans le Samyutta Nikkaya Shakyamuni déclare encore : « Ceci, Ô disciple, n’est pas votre corps ni le corps des autres ; il faut le considérer comme l’œuvre du passé ayant pris forme, réalisée par la pensée devenue palpable ». Pour Shakyamuni, non seulement on naît et on meurt à chaque instant comme on vient de le voir, mais de plus, là où l’on croît voir des corps, il dit que c’est l’œuvre du passé ayant pris forme, réalisée par la pensée devenue palpable. Ce qui signifie que le corps et son environnement sont « l’habitude » de la pensée de revenir à ceci ou à cela et qui, se cristallisant, donne l’aspect des corps. Le corps est donc, si l’on veut, une « accumulation » ou, plus exactement, un « vouloir être » momentané de la pensée. Le commentaire dit encore : « Si la naissance et la mort sont simultanées, ces deux choses s’annulent réciproquement ». Si la simultanéité de la naissance et de la mort est fondée, dans l’instant, il ne reste alors qu’une présence dont on ne peut pas dire qu’elle n’est pas, car tout existe, mais qui n’est constituée que de naissances et de morts successives. Tel est le point de départ de l’enseignement du Bouddha.

Dans notre école il est enseigné : « L’esprit et la vie momentanée emplissent le monde des phénomènes ». L’interrelation corps/environnement est donc bien la marque de l’ « habitude » de la pensée. Et cela naît et meurt à chaque instant. De ces quelques points nous pouvons extraire les concepts de non-dualité de l’être et de l’environnement, de non-dualité du corps et de l’esprit et de simultanéité de la cause et de l’effet, qui sont des éléments importants des écoles Tian Tai et Nichiren, mais qui émergent déjà nécessairement du sein de l’enseignement du Bouddha Shakyamuni.

Fort de cette logique, le Souverain de la Loi enseigne : « Du point de vue de la signification du sutra du Lotus, l’intégralité des existences du monde des phénomènes possède une signification profonde et indicible. Si l’on est uniquement prisonnier d’une conception scientifique moderne, on considère que le soleil, la lune sont de la matière et existent là du fait du hasard. Or, en réalité, la formation de cette terre, comme notre existence, résultent d’une profonde, inconcevable conditionnalité ». Autrement dit, nous ne sommes pas dans un monde, mais à chaque instant ce « monde » naît et meurt, et les orientations diverses qu’il prend, à travers ce que l’on appelle le changement, l’accident, le vieillissement ou tout ce que vous voulez, est toujours le vouloir unique de la personne concernée. Ensuite : « En ce sens, si l’on considère ces éléments du point de vue encore plus profond de la sagesse et de la vision du Bouddha, on comprend que toute chose, dans le monde des phénomènes, existe pour protéger. Ces choses existent telles quelles en tant que vie du Bouddha ou en tant que vie de divinité pour accorder leur protection à toutes les choses. En fait, grâce à la véritable et profonde signification du Lotus, la vie est présente dans toutes choses, tous phénomènes, eux-mêmes dotés des dix mondes et possédant la nature du Bouddha. C’est dans ces conditions qu’ils fonctionnent en tant que divinités protectrices du sutra du Lotus ». En somme, la vision du Bouddha est que tout est instantané, qu’il n’y a pas ici un soleil, ici une étoile, ici une lune et encore ici une gare S.N.C.F., mais que tout cela est une interaction propre à chacun des individus concernés en tant que causes/conditions favorables ou défavorables. On nommera cela malheur, bonheur, stress, pas de chance, hasard, mais, en réalité, ce sont des éléments qui s’agencent mutuellement à chaque instant, et qui façonnent ce que chacun pense être un monde « objectif » et « mesurable » dans lequel il se trouve. Or, cela est faux. La vie n’a pas d’origine, elle est instantanée et elle n’est que naissances et morts simultanées en terme d’effet. Nous vivons donc dans une conditionnalité invisible, insondable et s’étendant à tout à chaque instant. C’est en cela que l’on pourra parler de divinités protectrices, à l’époque de Nichiren par exemple.

Dans cette optique générale le Souverain de la Loi enseigne : « Il faut savoir que notre existence est en relation intime avec la terre, l’eau, le feu, le vent et l’espace du monde des phénomènes dans son ensemble. Pour cette raison, en fonction de la loi de non-dualité entre l’homme et son environnement, les rétributions du bien et du mal apparaissent très explicitement au niveau des causes et des relations des êtres, et des causes et des relations au niveau du territoire ». Tout est donc en fusion constante dans l’instant, et le bien et le mal des vies inhérentes à chacun apparaît dans les modifications de son corps et de son environnement. Tout n’est en effet que l’agencement provisoire de la terre, de l’eau, du feu, du vent et de l’espace. Ce sur quoi l’humain posera des noms multiples, en discriminant, ne sont que les agencements provisoires de ces cinq éléments.

Il poursuit ainsi : « Le ciel, autrement dit le monde des phénomènes, se situe au sein de l’élément « espace » parmi les cinq éléments : terre, eau, feu, vent et espace. Il manifeste divers phénomènes dans le cadre de son élément. L’espace possède une relation étroite avec les quatre autres éléments. On peut même dire que la terre, l’eau, le feu et le vent, apparaissent en fonction de l’espace ». L’espace est synonyme de vacuité. C’est donc au sein de cet espace, qui est l’endroit où naissent toutes les choses, que se situent les interrelations qui vont réaliser le « karma » de chacun dans l’instantanéité. C’est comme cela qu’est perçue la réalité dans notre école.

Ainsi : « Que l’on observe par exemple un cerisier, un pêcher ou un être humain, toute existence est en fait inexplicable, tant du point de vue de la forme que du contenu. Pour être plus précis, votre vie, la forme qu’elle revêt, sont tout à fait inconcevables. Un corps humain contient un très grand nombre de cellules. Le cœur, le foie, tous les organes coopèrent adroitement pour soutenir le phénomène vital. Ceci, tel quel, est l’aspect de la Loi et la vie inconcevable de cette Loi est appelée Loi merveilleuse, ou encore Corps de la Loi ». Nous, nous nous sentons exister en tant que nous-mêmes. Nous avons des papas, des mamans, une trajectoire particulière et nous sommes arrivés à tel point de notre existence en ayant perduré à l’identique. C’est ce que nous « voyons ». Mais, en réalité, le terme japonais de dharma que nous traduisons par phénomène, Loi, enseignement, se traduit également par « structure » provisoire, et tel est le phénomène nommé « corps ». L’existence est donc une structure provisoire et évolutive puisant ce qui la constitue dans le monde « extérieur », et y rejetant ce qui ne lui sert plus. Elle se perpétue en étant unique, indicible et s’étendant à tout. Dès lors, qu’il s’agisse d’un prunier, d’un pêcher ou d’un être humain, il s’agit d’une structure qui montre sa réalité en naissant et en mourant continûment. Et, comme elle ne peut le faire par elle-même, elle puise nécessairement dans ce qui semble lui être « extérieur » pour opérer les changements instantanés qui lui sont nécessaires. Cette causalité est absolument invisible pour l’œil humain. Là où l’humain verra que ceci s’est produit à cause de cela, ce qui constitue la « causalité » linéaire usuelle, il s’agira en fait d’un jaillissement instantané répondant au « vouloir » inconscient du sujet concerné. Il s’agit de l’apparition nécessaire du bien ou du mal de sa vie. Lorsque nous disions que : « L’esprit et la vie momentanée emplissent le monde des phénomènes », c’est la réalité de l’instant sans épaisseur.

Zénon d’Elée soutenait la thèse selon laquelle ce qui se meut, un mobile, ne se meut ni à l’endroit où il se trouve, ni dans celui où il n’est pas. C’est exact. Un mobile, dans l’instant, ne peut se mouvoir dans le lieu qu’il remplit, ni dans celui où il n’est pas. Dans l’instantanéité, il serait autre, ailleurs. Il en va de même pour la flèche qui, selon Zénon, ne se déplace pas dans l’espace. Pour qu’une chose puisse se déplacer, il faut qu’elle soit la « même ». Or, une flèche est lancée, et à tous les instants une autre flèche est dans un autre endroit. Ce ne peut être la flèche qui est lancée qui se plante ensuite dans le sol. C’est une vue de myope que de croire à l’identité. Ne nous heurtons nous pas, humainement parlant, à l’usure des choses ? Et bien l’usure n’existe pas. Ce ne sont que des états de faits différents, au sein d’une interaction inconcevable.

La causalité linéaire ne peut donc en aucun cas rendre compte de la réalité de l’existant. Parménide déclare que : « l’étant touche à l’étant » et, de fait, dans l’instant tout est lié d’une manière fusionnelle et c’est ainsi que le « changement » de toute chose peut s’opérer. Le Souverain de la Loi poursuit de la manière suivante : « En ce qui concerne les arbres, ils donnent de jolies fleurs, des feuilles vertes apparaissent sans qu’on ait eu besoin de les teinter. Cette fonction, inconcevable en elle-même, en tant qu’existence, est le Corps de la Loi ». Cela signifie que tout naît du Corps de la Loi et, dans le même instant, y retourne. « Et puis, répondant aux saisons, au printemps les feuilles apparaissent, en été elles sont luxuriantes, en automne les fruits se développent. Le fait que les arbres connaissent d’eux-mêmes l’aspect de l’apparition de l’existence, de la maturité, du changement et de la mort, laisse à penser que ce phénomène fait partie de la sagesse du Corps du Bouddha ». Tout ce qui est réagit continûment aux interactions de son environnement. Il n’est pas une particule, si infime soit-elle, qui ne soit en relation et en réaction vis-à-vis des autres phénomènes. Autrement dit le sentiment, même diffus, de la naissance, du maintient, de la dégénérescence et de la mort caractérise tout ce qui est. « Par ailleurs, le fait qu’ils puissent changer d’aspect en fournissant de l’oxygène aux êtres vivants, par exemple, et devenir matériaux de construction, où, en se parant de fruits, donner du profit à de nombreux êtres sensitifs, représente la fonction du Corps de communication. Ainsi, même dans un arbre, les fonctions du Corps de la Loi, du Corps de rétribution et du Corps de communication, sont présentes. Quand toutes les choses et phénomènes sont éclairés par Myohorengekyo, ils deviennent la substance de la Loi merveilleuse, autrement dit le triple corps sans artifice, présent à l’origine ». L’éveillé voit donc le triple corps du Bouddha, dans tout ce qui est, au travers de ses apparitions et disparitions simultanées et successives. Nous, par contre, nous voyons distincts des autres, nous nous voyons exister, vouloir, avoir peur de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Nous avons même parfois le sentiment que toute la vie va s’arrêter avec notre mort. L’humain n’est pas un bon poste d’observation !

Le vénéré Shakyamuni a enseigné dans le Lotus : « Je demeure ici constamment, mais grâce à la force de mes pouvoirs divins, je fais en sorte que les êtres aux conceptions erronées, bien que je sois proche, ne me voient plus ». Les pouvoirs divins évoqués par Shakyamuni sont « des capacités existant dans le corps et l’esprit des individualités dans les dix mondes ». Cependant, « il ne s’agit là, après tout, que de pouvoirs divins partiels se manifestant dans le monde en fonction de causes et de conditions ». Il y a donc quelque chose de divin dans les métamorphoses des êtres et des choses, dans leurs apparitions et leurs disparitions. Mais cela n’existe qu’en fonction des causes et conditions. Ce sont donc des effets. Dans la « Transmission orale de la doctrine » le Daishonin déclare : « Ce que l’on appelle « pouvoirs divins » est ce que nous, les êtres, manifestons en chaque acte, à tout moment… Naissance, pérennité, transformation et extinction sont toutes la substance des pouvoirs transcendantaux substantiels des trois mille phénomènes ». Pour le Bouddha, le fait que les choses apparaissent et disparaissent, changent constamment, provoquant ainsi chez les êtres ordinaires la joie, la tristesse, le désespoir, la beauté, l’angoisse, la guerre, la peur, etc.. sont les pouvoirs divins des choses et des êtres. « C’est ce que nous, les êtres, manifestons en chaque acte, à tout moment » nous dit-il, et ce que nous manifestons de la sorte, étant résultant des causes et des conditions, ce sont bien entendu des effets. « A présent, l’intention de Nichiren et des siens, s’ouvrant à l’éveil dès ce corps, est ce qu’on appelle les pouvoirs transcendantaux mystérieux et secrets de l’Ainsi-venant…. Ce triple corps sans artifice peut être obtenu avec un seul mot. Il s’agit du mot foi ». Autrement dit, le fait de croire, de ne pas rejeter la Loi, est la merveille de la cause originelle. Le fait de pratiquer, quant à lui, étant la conséquence de la croyance, correspond à la merveille de l’effet originel. Le fait, donc, de croire, est ce qui permet l’apparition des trois corps du Bouddha en la personne. Car il va de soi que, s’il y a croyance, la pratique s’effectue. Il n’est pas de foi sans pratique. Dès lors, le moteur des changements de sa propre existence, c’est-à-dire de son propre corps et de son environnement, au lieu d’apparaître en tant qu’effet circonstanciel d’une infinité temporelle et spatiale, devient le fait de croire et de pratiquer la voie de l’Eveil. Croire et pratiquer deviennent ainsi le moteur des changements de notre existence et le lieu de l’apparition des trois corps du Bouddha. Le seul mot de « foi » permet donc l’obtention des trois corps sans artifice. Nous quittons alors une situation où notre existence était subie, depuis un passé sans origine, pour celle où, agissant comme le Bouddha, nos troubles équivalent à l’éveil immédiat dès ce corps.

Le Daishonin a écrit : « Concluant que l’éveil dès ce corps de la doctrine originelle est l’identité du degré actuel et de la merveille, sans modifier ce qui est à l’origine, on peut dès lors appeler Ainsi-venant au triple corps sans artifice, présent à l’origine, le corps de chair tel qu’il est ». Cela signifie que dans l’enseignement du Bouddha originel le degré actuel où nous sommes, nous-mêmes, maintenant, équivaut à la merveille de l’éveil. Il n’y a donc pas à modifier ce que l’on est. « La substance de la vie, quel que soit son niveau, homme ou femme, âgé ou jeune, intelligent ou stupide, est telle quelle la vie du Bouddha immuable à l’origine » enseigne le Souverain de la Loi. Et ensuite : « Vouloir changer une chose, quelle qu’elle soit, en pensant ‘ça ne va pas comme ça’ représente déjà une action ‘avec artifice’ ». Une action « avec artifice » signifie retomber dans les enseignements provisoires du bouddhisme, dans lesquels de nombreuses austérités, au fil d’innombrables éons étaient indispensables. Dans l’enseignement du Bouddha Originel, ce que nous sommes à chaque instant, le degré actuel, est le lieu de l’apparition des trois corps sans artifice. Il n’est donc pas nécessaire d’être plus malin, plus intelligent, moins ceci ou cela, d’être autre en somme.

Jean-Denis : Cela me paraît logique.

Sinon, comment pourrions-nous devenir parfait, au vu de ce que nous sommes ?

En outre, lorsque le Daishonin déclare : « ..on peut dès lors appeler Ainsi-venant au triple corps sans artifice, présent à l’origine, le corps de chair tel qu’il est », cela signifie que étant présent à l’origine, « il n’a jamais varié depuis le passé ». Depuis le passé infini cela n’a jamais varié. Humains, nous apparaissons toujours avec le sentiment de provenir de quelque chose, ou d’être insuffisant, de n’avoir pas assez de ceci ou de cela, d’être trop jeune ou trop vieux, d’être dans un monde, d’avoir des parents, d’avoir tel passé, mais nous sommes le lieu d’où l’éveil peut surgir. Il n’y a pas à produire une accumulation de quoique ce soit. Le degré actuel est la merveille. Tout à l’heure nous citions cette phrase : « Si la naissance et la mort sont simultanées, ces deux choses s’annulent réciproquement », c’est vrai et, de fait, il n’y a toujours que la présence. On ne peut s’en échapper.

Brigitte : Même si l’on se suicide.

Bien sûr. Et l’on pourra toujours se trouver insuffisant.

Jean-Denis : Dans l’enseignement provisoire le Bouddha était libéré du cycle des naissances et des morts, alors que dans l’enseignement définitif le Bouddha est présent en permanence, au même titre que l’ensemble des phénomènes.

Oui. Et ce point n’a été développé que dans le sutra du Lotus. Avant le Lotus, Shakyamuni affirmait avoir obtenu l’éveil à Gaya, après avoir accompli des milliards d’actes saints au cours de ses existences successives. Tout le monde voyait alors qu’il était cohérent, face à une telle accumulation, qu’il soit enfin le Bouddha. Mais cela était faux. Dans le chapitre Durée de la vie il révèle enfin qu’une inconcevable immensité de temps s’est écoulée, depuis qu’il a atteint l’éveil. Cette déclaration ouvre alors sur l’enseignement du Bouddha Originel.

« Finalement, en regard de la multitude des phénomènes du monde des dharma ou de la vie des êtres en général, le concept de création ne représente pas le véritable éveil du Bouddha. La vérité réside dans la présence » enseigne le Souverain de la Loi. Cela parce qu’il ne peut pas y avoir d’absence de la présence. Mais il ne peut y avoir de création. Les dix mondes sont à l’origine, disait le Daishonin.

Exilé après avoir échappé à la décapitation le Daishonin écrit, dans la lettre de Sado : « Plus je réfléchis, plus je ressens que, véritablement, les offenses à la Loi que j’ai commises dans mes vies passées, dans la vie présente, dans les jours passés, sont effroyables ». Ses propos sont naturellement l’expression de sa profonde bienveillance à notre égard. Ensuite, il cite le sutra de la parfaite quiétude : « Les hommes peuvent recevoir en tant que rétribution des souffrances variées de manière légère en cette vie. Ceci en raison du pouvoir des œuvres et vertus d’avoir protégé la Loi ». Le sutra affirme donc que nous subirons des souffrances dans cette vie, mais qu’elles seront minimes, qu’elles seront légères au regard de l’infinité des souffrances des êtres dans les six voies, et que cela sera dû au fait d’avoir protégé la Loi. Le Daishonin lie donc les problèmes multiples qu’il a rencontrés au Japon au fait qu’il a, sans ménagement, propagé et protégé la Loi au risque de sa vie. Il affirme que les souffrances légères qu’il a endurées, une main fracassée, une blessure par le sabre, deux exils et une tentative de décapitation quand même, sont la rétribution de la protection de la Loi. Il est vrai, par contre, que l’on peut qualifier de réellement lourdes les souffrances sans fin dans le cycle des six voies. Dès lors, sortir des six voies en endurant des souffrances légères et en protégeant la Loi nous semble alors être une situation de rêve. « Les difficultés que subit Nichiren relèvent du pouvoir des œuvres et vertus de protéger la Loi… Nichiren Daishonin nous montre, à travers son propre corps, la signification de l’effacement des fautes par la lecture du sutra du Lotus. L’effacement des fautes par le sutra du Lotus implique l’éveil dès ce corps par le sutra du Lotus. C’est donc en raison des offenses au sutra du Lotus, que l’on est un homme ordinaire. Or, si ces fautes sont effacées, on devient Bouddha ». Il en ressort que si l’on est un être ordinaire, c’est en raison de l’opposition à la Loi.

Nancy : Ah ! Je n’avais jamais entendu ça.

Roberte : S’il n’y a pas d’opposition à la Loi on est Bouddha ?

Oui, c’est ce que le Souverain de la Loi enseigne. En fait, ne pas s’opposer au Lotus équivaut à le propager. Ne pas le propager est le nier. Pratiquer le sutra du Lotus est une excellente chose, mais le propager efface les oppositions à la Loi. La raison en est que propager le Lotus soulève en nous et autour de nous, c’est-à-dire rend visibles, les oppositions à la Loi depuis un passé infini. Les souffrances qui apparaissent alors nous font quitter le cycle des six voies. « Nichiren nous montre ainsi que la cause permettant de devenir le Bouddha par la pratique du sutra du Lotus est unique… Même si les acteurs sont différents, la causalité pour devenir Bouddha ou tomber en enfer est invariable » enseigne-t-il encore. En somme, soit c’est l’opposition au Lotus, soit c’est sa pratique et sa propagation au risque de notre vie. Dans les deux cas, il y a souffrances..

Nancy : C’est ce que j’allais dire.

Dans le premier cas elles sont de toutes façon permanentes, dans le second elles nous permettent de sortir des six voies, d’atteindre l’éveil ultime, et d’entraîner une infinité d’êtres avec nous.

Roberte : Dans le second cas les souffrances ne sont pas tout à fait les mêmes.

C’est exact, on y voit plus clair et la peur ne nous terrasse plus. 

« Mes disciples doivent, comme moi, pratiquer le principe véritable. Quel mérite y aurait-il si, même devenus des sages ou des érudits, ils tombent en enfer ? L’important est de réciter Nam Myoho Renge Kyo, à chaque instant, à chaque pensée ». Il entend probablement par là que, puisque la pensée est un effet et non un acte libre, le sommet de la qualité de notre vie se produit lorsque nous récitons Nam Myoho Renge Kyo. Et aussi : «  A présent, ceux qui, comme Nichiren, récitent avec respect Nam Myoho Renge Kyo doivent expliquer et enseigner la Loi sans divergence avec Nichiren ».Tout cela, bien sûr, pour éviter les fautes d’opposition à la Loi révélée dans le Lotus. « C’est parce que le chemin menant à l’éveil est immanquablement semé d’événements réclamant l’abandon de la vie que l’on devient Bouddha », dit-il encore. Ayant commencé à pratiquer cet enseignement, nous aboutissons nécessairement à un point où on ne pourra pas ne pas se heurter à des choses extrêmement violentes, voire au risque de la perte de la vie. On ne peut obtenir l’éveil sans être dans la situation de rejeter sa vie. La raison en est que, depuis un passé infini, l’existence s’impose dans le cycle infernal des six voies. Vous comprenez pourquoi le cours porte sur les bienfaits de la pratique ? C’est parce que, un jour ou l’autre, nous devrons nous confronter à des choses véritablement sérieuses. Dans sa grande bienveillance le Bouddha nous enseigne : « Respecter confusément Nichiren, sans même l’utiliser, entraîne la ruine de la nation ». Le « respect confus de Nichiren » c’est, le connaissant un peu, ne pas s’y opposer, pratiquer un peu de temps en temps, ne pas approfondir l’étude de sa doctrine, ne pas faire de remous, en somme. Tel est le « respect confus », c’est ne pas propager la Loi. « L’utiliser » correspond en fait à garder en son esprit, et à propager sa doctrine.

Jean-Claude : Et la ruine de la nation ?

Mon sentiment personnel est que, rencontrer le Bouddha Originel, sans même l’utiliser, fait que l’on renaît toujours dans une situation où l’on voit son pays être détruit. On voit toujours le socle sur lequel on vit se détruire devant nous. Il s’agit de la perte brutale de tous les repères environnementaux. Tel est, en la vie de quelqu’un, la résonance du respect confus envers le Bouddha Originel, sans même l’utiliser.

Brigitte : Et l’irrespect envers le Bouddha Originel, de son vivant ?

Ce doit être d’autres types d’obstacles au bonheur !

Jean-Denis : Mais la ruine d’une nation, ça touche beaucoup de monde.

Au vu de l’éternité de la vie et de la profusion des lieux, chacun apparaît là où il vivra au mieux ce qu’il est. Vous savez, lors du sac de Rome par les barbares, certains ont vu leur pays se détruire, c’était pour eux la fin du monde, d’autres ont vu des richesses à leur portée, d’autres ont vu la fin de la civilisation, d’autres encore ont vu la possibilité de prendre la place de quelqu’un. Deux ou trois générations après, tout était rentré dans l’ordre. Toujours dans la série des bienfaits de la pratique, le Daishonin écrit : « Dans le sutra du Nom pur ou le sutra de l’Extinction, celui qui souffre de maladie devient plus aisément Bouddha. En effet, grâce à la maladie, l’esprit se tourne vers la voie ». Ainsi, pour ceux qui pratiquent, la maladie devient parfois un moyen de fortifier leur esprit de recherche.

La raison en est que l’enjeu est de taille, car le Daishonin enseigne : « D’une manière générale, la domination des illusions ne constitue pas la finalité du chapitre Durée de la vie. Celle-ci réside dans la capacité de comprendre que la substance des hommes ordinaires est, telle quelle, présente à l’origine ». C’est à cela que le Bouddha veut nous éveiller à travers la maladie, le mépris d‘autrui et toutes sortes d’obstacles. Il nous faut réaliser que nous sommes présents, à l’origine, en permanence. S’il y a donc une chose à accomplir dans la plus grande urgence, c’est de s’éveiller. Pour tous les êtres la vie est en permanence subie, en terme d’effet, c’est le cycle infini des six premières voies. Il y a donc urgence à entrer dans le voie bouddhique et à s’éveiller. L’instant est le moment de l’urgence.

Jean-Claude : L’urgence est alors permanente.

Jusqu'à l’obtention de l’éveil, je présume.

Vous savez, Shakyamuni enseigne dans le Lotus : « Je sais toujours si les êtres pratiquent ou non la voie ». C’est quand même incroyable qu’il dise ça, ce garçon ! Autrement dit, le Bouddha est hors le temps, puisque tout est hors les catégories du temps et de l’espace, et le Bouddha voit l’avancée vers l’éveil, l’augmentation des racines de vertus chez tous les êtres. Dés lors, il est hautement probable qu’à la vue de racines de vertus qui disparaissent le Bouddha ait à cœur d’intervenir, et qu’à la vue de racines qui s’approfondissent ils se réjouisse. Le Souverain de la Loi déclare : « On peut considérer le passé infini comme existant en permanence, depuis le sans commencement. En effet, la substance fondamentale de la Loi, Myohorengekyo, est la simultanéité de la cause et de l’effet. Aussi, la Une pensée instantanée correspond telle quelle à l’éternité sans commencement. Cette Une pensée existe elle-même à l’origine, elle est présente en permanence et est sans commencement ni fin ». C’est en cela qu’il y a urgence : la Une pensée, sans épaisseur, à l’origine, est l’éternité sans commencement. Nous sommes alors tous dans cette situation : notre Une pensée, qui s’impose, dont nous ne sommes pas l’acteur, qui est l’effet de l’infinité passée, est notre éternité, si l’on ne s’éveille pas immédiatement.

Brigitte : Mais, malgré la grande bienveillance du Bouddha, depuis qu’il a enseigné la Loi il y a encore des êtres qui la refuse ou s’y opposent. C’est quand même bizarre, non ?

Tout au moins c’est ce que l’on voit si l’on regarde l’histoire du « monde ». Mais pour être plus précis, à mon avis, il faut considérer l’instant, celui de l’urgence, comme le lieu où s’entrecroisent une infinité d’infinités. Et nous sommes porteurs, à chaque instant, d’une infinité que nous entraînons.

Brigitte : C’est cela propager la Loi.

Oui, le fait de vivre, en pratiquant, entraîne dans l’éveil une infinité qui nous est propre. Le fait de vivre, sans pratiquer, c’est subir une infinité qui nous est également propre.

Brigitte : Pratiquer la Loi, c’est déjà bien, mais il nous faut en plus la propager.

Entrés dans la voie, à un moment, à travers la maladie, la peur de la mort, la perte des siens, les diverses vicissitudes, on est contraints de s’éveiller au fait que notre nature profonde, notre ascèse, est d’entraîner les êtres dans l’éveil. Alors, se demander pourquoi la bienveillance du Bouddha est si peu grande que les oppositions se multiplient et grandissent ne correspond à rien, car les êtres sont infinis. Les textes disent que, lorsque le vénéré Shakyamuni vivait en Inde, des êtres l’ont rencontré et sont devenus disciples, d’autres ne l’ont pas rencontré mais en ont entendu parler, d’autres enfin ne l’ont ni vu ni n’en ont entendu parler. Or, il est dit que Shakyamuni a créé des liens avec tous ces êtres. Ceux qui l’ont rencontré et sont devenus disciples ont obtenu l’éveil ou s’en sont rapprochés. Ceux qui en ont seulement entendu parler sont nés ensuite dans une période où ils purent rencontrer son enseignement et progresser vers l’éveil. Ceux qui, enfin, n’en avait même pas entendu parler, sont nés dans une période encore plus lointaine, mais purent néanmoins rencontrer son enseignement et en tirer des bénéfices. Autrement dit, l’action de Shakyamuni a été telle que, de son vivant ou non, une infinité d’êtres a pu obtenir l’éveil sans égal, ou des éveils partiels, ce qui n’est pas rien. Il en va de même pour nous quant à la raison de notre existence. Les êtres sont infinis et sont, en outre, composés d’une infinité. Considérons alors que l’instant présent, celui de l’urgence, est le lieu où des infinités se croisent dans toutes les directions de l’espace. Soit on est effet consécutif, soit on entraîne.

Jean-Denis : Lorsqu’il est dit : « A l’origine sont les dix états », cela ne s’oppose-t-il pas au fait que lors de l’éveil les autres états n’existent plus ?

C’est un enseignement provisoire que de considérer l’éveil comme un état purifié des neuf autres états. Le Bouddha, comme tout ce qui est, possède toujours les dix états. La présence momentanée, dans un environnement, est une conditionnalité qu’on ne peut absolument pas concevoir. Mais il reste vrai que l’état le plus élevé, l’éveil, entraîne les êtres des neuf autres états hors des souffrances. C’est là notre fonction.

Jean-Denis : Mais il y a toujours souffrance. Et même si chacun d’entre nous entraînait une infinité d’êtres, il y aurait toujours des souffrances. L’éradication totale et définitive de la souffrance ne saurait être une finalité.

C’est vrai. Mais on ne peut pas ne pas agir. Le Bouddha n’est pas découragé par l’ampleur de la tâche. L’état le plus riche et le plus élevé, en tant qu’humain, est de pratiquer et de propager l’enseignement du Bouddha.

Brigitte : Les êtres sont attachés à leur état, même s’il est pitoyable, et pour eux accéder à l’éveil représente un effort qu’ils n’ont pas l’air de désirer entreprendre. Il est plus facile d’être dans les six voies que dans l’éveil.

C’est plus facile car inévitable. Il n’y a rien à faire de spécial. Mais il n’y a là que des souffrances sans fin.

Brigitte : Au vu des efforts que font les êtres pour seulement surnager au sein des six voies, les efforts pour obtenir l’éveil ne devraient pas leur sembler démesurés.

En théorie seulement. Car, en pratique, s’engager dans la voie bouddhique semble difficile à un grand nombre. Ne rien faire leur semble plus facile que de pratiquer l’ascèse. Le Daishonin a en substance déclaré : « Les êtres dans l’enfer s’y sentent comme dans un jardin d’enfant ». L’habitude de la souffrance, sans éléments de comparaison, peut sembler normale. Mais le Bouddha voit que c’est une souffrance répétitive, désespérée, sans commencement ni fin.

Jean-Denis : Etant donné que l’être et son environnement ne sont pas deux, il y aura toujours les six premières voies…

Avoir un corps dans un environnement, pour l’humain, implique en effet les six premières voies. Le corps est composé de substances diverses qui relèvent du minéral, du végétal et de l’animal. Son environnement également. Il s’agit toujours de la combinaison des cinq éléments de la terre, de l’eau ; du feu, du vent et de l’espace.

Brigitte : Mais le Bouddha, lui, n’est pas assujetti à son corps.

On peut le considérer comme cela. Il possède les six premiers états mais l’éveil les subliment.

Revenons en au cours, le Daishonin a déclaré : « Afin de faire avancer, lorsque son cœur se relâche un peu, celui qui a foi dans la Loi du Bouddha et qui va s’écarter des vies et des morts, le Bouddha lui adresse une épidémie. C’est pour l’encourager, c’est pour le faire progresser ». Et le commentaire stipule : « Il n’y a pas lieu de s’effrayer ». Donc, quand le Bouddha voit quelqu’un faiblir, alors qu’il est sur le point de s’affranchir des souffrances des vies et des morts successives, il lui envoie une épidémie pour qu’il puisse réaliser la non dualité de son propre corps et de l’environnement. Il s’agit là de l’expression de la bienveillance du Bouddha.

Nancy : Nous qui aspirons à la tranquillité !

Une épidémie, la maladie, la mort, ce n’est pas extérieur au sujet. C’est toujours lui qui les engendre. Il lui faut s’y éveiller.

Le Daishonin enseigne : « Dans l’ascèse de Myohorengekyo, il faut considérer les difficultés qui se présentent comme une félicité ». Et aussi : « L’apparition des difficultés est l’expression du passage du sutra : vivre une vie paisible en ce monde ».

La salle : C’est pas drôle.

La « vie paisible » est donc le fait de propager la Loi et, par là même, de soulever des vagues d’opposition. Dans le « Traité sur l’objet fondamental de vénération pour l’observation du cœur », il écrit : « Le Bouddha ne s’étant jamais éteint dans le passé, il ne naîtra plus dans le futur. Il en est de même pour ceux à qui il enseigne ». C’est cela que le Bouddha essaie de nous faire comprendre, à travers le fait de soulever l’opposition à la Loi en la propageant dans ce monde. Le commentaire du Souverain de la Loi précise : « Nous aussi, qui sommes guidés par ce Bouddha, pouvons devenir Bouddha comme lui, ayant la vie présente en permanence dans les trois phases sans s’éteindre. Tel est l’enseignement inouï que nous a légué Nichiren Daishonin ». C’est quelque chose qu’il est difficile d’appréhender par la logique, mais nous pouvons nous y éveiller.

Dans le sutra de l’Extinction le vénéré Shakyamuni enseigne : « S’il en est qui souhaitent recevoir et observer les cinq préceptes, ils ne peuvent pas obtenir d’être appelés pratiquants du Grand véhicule. (Par contre) Même s’ils ne reçoivent pas les cinq préceptes mais protègent la bonne Loi, ils peuvent être appelés pratiquants du Grand véhicule. Ceux qui protègent la bonne Loi doivent porter le couteau, le sabre, des armes et des bâtons ». Les cinq préceptes sont ne pas tuer, ne pas voler, ne pas forniquer, ne pas mentir et ne pas absorber d’alcool.

Brigitte : On est mal barrés.

Certes. Mais, celui qui garde ces cinq préceptes ne peut être appelé pratiquant du Grand véhicule. « Il est en fait plus important de protéger la bonne Loi que de s’attacher à ce genre de chose » dit le Souverain de la Loi. Garder ces cinq préceptes relève de l’enseignement provisoire où l’on préserve son existence en respectant les règles. Dans l’enseignement définitif on rejette ces cinq préceptes, et on rejette l’attachement inconditionnel à son moi en gardant et en protégeant l’enseignement du Bouddha. Dés lors, selon son ascèse chacun peut devenir un sabre, un couteau ou un bâton dans sa protection de la Loi. Dans notre école, le seul précepte est de garder la Loi. Pour autant, protéger la Loi implique de la connaître, et la connaître implique de suivre le Souverain de la Loi.

« Les ascèses ayant pour objectifs de « réduire à néant le moi individuel », telles que les pratiquèrent les auditeurs et les Bouddha pour soi, sont absolument impossibles à effectuer par les êtres de la Fin de la Loi. La voie permettant d’accumuler les vertus inconcevables du profit personnel en même temps que le profit pour autrui, sans rejeter le moi ne s’intéressant qu’au profit uniquement personnel, ne se trouve nulle part ailleurs que dans les œuvres et vertus inconcevables de l’effacement des fautes d’offenses à la Loi par la Loi merveilleuse. Cette voie est celle de la vaste propagation, celle de la progression vers la vaste propagation ». Propager la Loi permet donc de transformer l’attachement au moi en évitant les ascèses que d’autres effectuaient en d’autres époques. Garder et propager la Loi va nous permettre de dépasser notre moi sans avoir à le réduire en cendres.

Jean-Denis : Le fait d’être sur la voie et d’essayer d’obtenir l’éveil constitue un retour au moi. Le moteur qui fait qu’on va essayer de changer d’état en pratiquant, et d’obtenir l’éveil c’est le moi. Quelqu’un qui serait sans moi…

Tout hurle : Moi. Il n’est pas un brin d’herbe qui ne hurle Moi, Moi. Il y a bien, effectivement, ce point de départ appelé :Moi. Mais l’enjeu, pour nous, en pratiquant et en propageant la Loi, c’est d’ouvrir ce moi étriqué au fait que notre personnalité est hors le temps.

Brigitte : On a pas le choix, on part de ce que l’on est.

Bien sûr. Quand tu as un rhume, tu sais bien que c’est pas le voisin qui l’a, c’est toi. Mais alors que dans le passé il fallait anéantir ce moi par des manœuvres ascétiques, garder, protéger et propager la Loi suffit.

Jean-Denis : Mais a quoi bon. Je me fais l’avocat du diable. Car même si l’on mène vers l’éveil une infinité d’êtres il y aura toujours les dix mondes, l’enfer, l’avidité, et ainsi de suite.

Notre ami replonge dans les logiques triviales se déployant sur les bases de l’existence du temps et de l’espace. Depuis Kant, je croyais que c’était fini ! Il faut éviter ce type d’écueil. C’est humain, mais ce n’est pas ce que voit le Bouddha. Notre problème numéro un est que notre personnalité ne peut ni apparaître ni disparaître, qu’elle s’étend à tout, que l’instant nous échappe puisqu’il est le passé infini en terme d’effet et que nous sommes continuellement passés.

Jean-Denis : Il y aura toujours un sujet percevant et un objet perçu. La souffrance est toujours dans le sujet percevant.

On peut le dire. Mais même Heidegger s’est rendu compte que la relation sujet/objet n’était pas le fondement de la réalité. Dans notre école, le sujet est l’objet. Ce ne sont pas deux choses distinctes. Toutes nos logiques humaines doivent s’effondrer dans la poussière devant l’enseignement du Bouddha. Nous ne percevons jamais qu’un monde qui nous est antérieur. Ou, si vous préférez, dans les six voies le futur de toute chose est son passé. Nous ne voyons que nous-mêmes, à notre insu. Nous ne sommes habilités à porter aucun jugement sur quoi que ce soit. En ce qui me concerne, plutôt que de me laisser enfermer dans les contradictions humaines, j’essaie d’en revenir constamment aux éléments de réflexion laissés par l’éveillé.

Brigitte : On est existant, point.

C’est ce que dit Vasubandhu : « L’instant est l’acquisition de la nature propre périssant immédiatement ». C’est parfaitement exact, mais ce n’est pas concevable. On ne peut se départir d’une référence à un moi éphémère, étriqué, perspectiviste, protéiforme et constamment passé. L’urgence, pour nous, est de nous éveiller à notre véritable soi. Et, à ce moment, on s’éveille au fait que notre propre corps est l’infinité phénoménale. Tel est l’enseignement. Alors, ne laissons pas notre esprit vagabonder dans des directions aussi multiples que fangeuses. La réflexion, chez l’humain, n’aboutit qu’à l’humain. Ce qui n’est rien.

Jean-Denis : Nichiren plaisantait lorsqu’il disait : « Bien que vous soyez maître de votre cœur, il ne faut pas laisser celui-ci devenir le maître ».

L’humour du Bouddha Originel est quelque chose de rare ! Le ressenti « Moi » est un effet. Ce n’est donc en aucun cas un point de départ, une cause, pour obtenir l’éveil. « J’ai froid », « j’ai chaud », « bleu », « vert », « je pense ceci », « je vois cela » est le passé immédiat de l’aspect réel de notre existence. Nous ne sommes donc jamais dans le présent. Nous n’avons pas de support pour poser un acte en tant que cause. On peut pourtant le croire, mais c’est infantile. Le « cœur », qui est ce d’ou provient continûment le corps et l’environnement, et donc, par transposition, la pensée, est toujours le maître. Seule le voie de l’éveil dès ce corps permet de s’éveiller au soi véritable.

Brigitte : Ca c’est important, de voir que le moi obstrue notre vision des choses. Mais on ne peut faire sans.

Jean-Denis : Le seul truc qui nous gène, c’est le moi.

Les psychologues que je connais me font beaucoup rire. Tous leurs problèmes mentaux viennent d’un moi surdimensionné et, si je leur dis que leurs problèmes naissent de leur moi, elles en doutent ! Quel orgueil naïf chez ces gens !

On en revient au cours. Dans l’enseignement bouddhique, jusqu’aux phrases du Lotus, l’idée maîtresse consiste à planter des causes en vue d’obtenir l’éveil en tant qu’effet. Dans l’enseignement du profond des phrases du Lotus, la logique s’inverse. Il convient alors de partir de l’effet afin d’établir en soi la cause. Le Souverain de la Loi enseigne effectivement : « La Loi unique de Myohorengekyo du passé infini contient l’intégralité de toutes les autres lois. Elle représente l’état de vie absolu du Bouddha Originel. Là réside le véritable effet. Dès lors,.. si vous récitez sérieusement le Daimoku, vous êtes alors dans l’effet et pratiquez la cause en partant de l’effet, autrement dit, grâce à l’effet de boddhéité du Bouddha Originel Nichiren Daishonin, vous pouvez recevoir les grandes œuvres et vertus de la Loi ». Lorsque le Bouddha, par compassion, exprime son état en tant qu’effet, c’est Myohorengekyo. Comme tout état, toute chose est la simultanéité de la cause et de l’effet. L’état d’éveil, lui aussi, est la simultanéité de la cause et de l’effet. Ce qui nous permet, à nous humains, aveuglés par un moi chaotique et les passions afférentes, de pouvoir, au sein des troubles, produire l’éveil en tant qu’effet. Il s’agit de la relation substance/fonctions. La substance de l’animalité, par exemple, produit nécessairement ses fonctions. Et il n’est pas de substance, sans fonctions exprimant la substance. Dès lors, au sein des souffrances exprimant les fonctions naturelles de notre substance, nous pouvons y substituer la récitation de Myohorengekyo, qui est l’effet de l’éveil. Ainsi, partant de l’effet de l’éveil du Bouddha Originel nous établissons la cause de l’éveil en notre corps. L’éveil en tant que fonction fait obligatoirement apparaître l’éveil en tant que substance. En effet, l’effet engendre la cause, puisque ce n’est pas deux.

Brigitte : Ah oui ! Substance/fonction, comme cause/effet, c’est la même chose !

C’est la présence. C’est Un. Par exemple, la substance « chat » ne peut avoir les fonctions « crocodile » ou « palétuvier nain », c’est impossible. La graine de blé ne peut donner un coup de l’avoine, un coup des sucres d’orge. Par contre, nous, humains, avons la possibilité, grâce à sa bienveillance, d’avoir les fonctions, les actes du Bouddha Originel au sein des troubles. Nous récitons Myohorengekyo, l’effet de l’éveil, et ainsi établissons nous immédiatement la substance de l’éveil ultime dès ce corps. La raison en est qu’en ce monde, rien n’est cause, tout est effet. Seul croire est la merveille de la cause originelle, c’est l’identité du monde du Bouddha et des neuf mondes. Réciter est la merveille de l’effet originel, c’est l’identité des neuf mondes et du monde du Bouddha.

Nichikan Shonin a écrit : « Lorsqu’on croit au Honzon en son cœur, le Honzon teinte notre cœur. S’opère alors la merveille de la cause originelle de l’identité du monde du Bouddha et des neuf mondes. Lorsque avec la bouche nous récitons la Loi merveilleuse, le Honzon teinte notre corps. S’opère alors la merveille de l’effet originel de l’identité des neuf mondes et du monde du Bouddha. La sagesse et son objet fusionnent ».

Tout état est la simultanéité de la cause et de l’effet. Les fonctions de l’enfer sont ce dont elles proviennent : l‘enfer. Il en va de même pour l’animalité et pour tous les autres états. Les fonctions montrent nécessairement toujours l’état. Ce n’est pas deux, c’est un.

Brigitte : Tous les systèmes de pensée établissent que telle cause, antérieure, entraîne tel effet. D’où la « cause première », hors la causalité.

Bien sûr ! S’ils étaient amenés à admettre qu’il n’est pas de cause qui ne soit en réalité un effet, quelle horreur, cela les obligerait à entrer dans l’enseignement du Bouddha et, plus particulièrement, dans celui du Daishonin. Ce qu’ils ne veulent en aucun cas. Il faut bien manger et conserver son autorité ! Et pourtant, le fait que tout est instantané, c’est-à-dire sans origine, est tellement frappant que cela devrait sauter au visage de tout un chacun.

Nancy : Tous leurs propos sur dieu…

La peur du noir. Pas d’origine, ça effraie le manque de probité intellectuelle. Vivent les points de départ hors la causalité. C’est la voiture balai du manque de réflexion. Pitoyable ! Du reste, quand c’est pas dieu c’est le « big-bang » ou la « naissance » de notre terre, de « l’humanité ». Le même aveuglement préside à tous ces points de départ.

Brigitte : Les trois quart de l’humanité pensent encore comme cela.

Jean-Denis : C’est l’homme qui crée dieu, et non le contraire.

Pour en revenir au fait de partir de l’effet pour établir la cause, le Daishonin enseigne : « En effet, l’enfer atteste de l’effet de boddhéité en tant que part d’enfer. Ainsi trois mille phénomènes attestent de l’effet de boddhéité en tant que part de la substance de chacun.

Tel est notre éveil dès ce corps ». En tant que ce que nous sommes, dans l’avidité, l’animalité ou la souffrance, nous pouvons ainsi attester de l’effet de l’éveil dès ce corps.

Roberte : Cela dit, c’est pas toujours flagrant pour les autres. Un proche m’a dit récemment : « Depuis le temps que tu pratiques je vois pas tellement de résultats ».

Qu’est-ce que peut voir un proche ? Merleau-Ponty dit qu’on ne peut voir que son propre corps, et Kant affirme qu’on ne voit que son état intérieur. Un chat voit un monde de chat et un abruti voit un monde d’abrutis. Nietzsche a déclaré : « Plus vous vous élevez, et plus les autres vous voient petit ». Tenir compte de l’avis du manque de réflexion c’est mourir debout. Nichiren dit encore : « A présent Nichiren et les siens attestent de l’effet de boddhéité en tant que part récitant Nam Myohorengekyo ». Tout à l’heure nous évoquions la relation entre la substance et ses fonctions. De la même manière, réciter la Loi est l’œuvre du Bouddha. Or, lorsque nous la récitons, ses vertus naissent en nous. Tel est le bienfait de l’apparition des œuvres et vertus de l’éveil.

Il enseigne également : « Les cinq caractères de Myohorengekyo ne sont pas les phrases du sutra ; ils n’en sont pas le sens. Ils en sont uniquement le cœur ». En général, nous, les humains, employons des mots de façon à faire comprendre un sens. Et nous passons notre temps à scruter le sens des évènements de nos vies. Le sens, pour nous, est important, pour la bonne raison que nous n’avons que cela. En effet, les mots ne touchent jamais le référent, c’est-à-dire l’objet, et seul le sens est à notre portée. Tel est le « travail » de la pensée usuelle. Pourtant, dans l’enseignement du Bouddha Originel, « Le nom possède la vertu d’aboutir immanquablement à la substance ». Le nom, Myohorengekyo, est l’état du Bouddha Originel, son coeur. Ce n’est donc pas un problème de mots, de sens, mais d’objet. L’éveil étant un état, une forme, il convient de le faire apparaître en le nommant. Les mots sont l’éveil. « C’est avec les mots que le Bouddha dirige les êtres ».

Le Daishonin enseigne encore : « Il n’est pas de production dans le principe de réciter à haute voix le titre (Nam Myoho Renge Kyo) ». Autrement dit, réciter le Daimoku ne s’effectue pas en vue de… Comme le disait le Souverain de la Loi : « Pratiquer dans le but de guérir une maladie, par exemple, fait quitter la voie correcte ».

« Si on récite Nam Myoho Renge Kyo avec une foi forte sans aucune autre pensée, alors, le corps de l’homme ordinaire est le corps du Bouddha. C’est ce qu’on nomme l’éveil dès ce corps par la clarté, obtenu seul et naturellement », enseigne le Daishonin. Il déclare également : « L’esprit de l’enseignement que propose le sage se retrouve dans la pratique ». Comme la pratique de Nam Myoho Renge Kyo est l’action de l’éveillé, nous héritons de l’action du Bouddha en pratiquant matin et soir. Autrement dit, notre pratique entraîne nécessairement l’esprit de l’enseignement du saint en nous-mêmes. Nous sommes donc sur la voie menant à la non distinction de son comportement et du notre. Dès lors, il n’y a pas, comme dans les enseignements provisoires, une infériorité du disciple vis-à-vis du maître.

« La nature du Bouddha, que possèdent tous les êtres, est appelée Myohorengekyo. Aussi, lorsque l’on récite une fois ce Daimoku, les natures de Bouddha de tous les êtres, ainsi conviées, se rassemblent ici. Alors, les trois corps, de la Loi, de rétribution et de communication, de la nature de la Loi s’ouvrent tous en nous. C’est ce que l’on nomme devenir Bouddha » enseigne le Daishonin. L’endroit où l’on pratique est donc le lieu où se rassemblent les natures de Bouddha de tout ce qui est. Cela ne nous est pas visible.

Brigitte : C’est pour cela que pratiquer entraîne tout ce qui nous est proche.

C’est ce que le Bouddha enseigne. Souvenons nous de la cérémonie dans les airs du Lotus. Une infinité de bodhisattva sont présents, tous entourés d’un grand nombre d’êtres autour d’eux. On peut supposer que plus les groupes sont éloignés, et moins ils participent de la cérémonie de l’éveil. Mais ce sont toujours des groupes qui sont liés aux personnes qui les entraînent. Nous pouvons peut-être comprendre un peu, par ce biais, ce qu’est l’éveil du moment initial hors le temps. Il convient d’éviter de penser que nous sommes dans le « temps » et dans « l’espace ». Rien ne s’y trouve. Pratiquants, nous devenons le lieu de la réunion des états d’éveil de tous les êtres. En tant qu’humain, c’est le lieu de l’excellence de la « présence ». Il s’agit de l’acte le plus élevé.

Brigitte : Entendre cela me réjouit.

« Toutes les existences présentes en ce monde se meuvent et fonctionnent en fonction de la voie, c’est-à-dire de l’enseignement ». Le sutra du Lotus « enseigne qu’il existe une logique de la joie, de la peine, de l’élévation et du déclin, à laquelle toutes les existences du monde des phénomènes, celles qui sont visibles comme celles qui sont invisibles, sont soumises. Elle est invisible à nos yeux d’êtres ordinaires, mais aux yeux du Bouddha, toutes les significations des existences et des êtres en ce qui concerne l’intégralité des causes, des effets, de la souffrance et de la joie s’y rassemblent » enseigne le Souverain de la Loi. En d’autres termes, tout tend vers l’arrêt des souffrances, vers la satisfaction, vers le bonheur le plus élevé. C’est en cela que réciter le Daimoku attire car, que cela soit visible ou non, tout tend vers un mieux. « L’immense principe du Lotus représente l’enseignement et la voie guidant l’ensemble du monde des phénomènes. Ainsi le rassemblement de l’intégralité du monde des phénomènes exprime l’achèvement des êtres ». La « présence », c’est le lieu ultime de la réunion d’une infinité achevée. Tout phénomène est le lieu de la réunion d’une infinité. L’instantanéité de l’existant est le lieu du rassemblement et de l’achèvement de l’intégralité des phénomènes. Notre pratique entraîne une infinité dans l’éveil.

Le Daishonin enseigne en effet : « A présent, Nichiren et les siens sauvent les êtres par Nam Myoho Renge Kyo. Hormis cela, il n’est de finalité ». Encore une fois nous nous trouvons en face d’un propos qui dénie l’existence en soi du temps et de l’espace. Il n’est pas de finalité, il n’est pas de téléologie, il n’est pas de but, Aristote est une voie de garage. « Ce corps, doté de la chair héritée des parents et empli de mauvaises passions, devient l’Ainsi-venant présent à l’origine et demeurant en permanence » dit-il encore. Cela signifie que le degré présent est la merveille. Tout est à l’origine et demeurant en permanence. Je sais, ce n’est pas un concept facile à comprendre, mais on peut s’y éveiller.

Brigitte : Donc, on entraîne, mais est-on entraînés ?

Oui, par le Souverain de la Loi. Enfin, c’est le cas de tous les esprits assez nobles pour devenir ses disciples. Par contre, les esprits pollués par la suffisance et l’orgueil errent sur la voie sans support.

Le sutra du sage universel déclare : « Sans interrompre leurs mauvaises passions, sans se libérer des cinq souillures, ils purifient leurs racines et effacent toutes leurs fautes ». Le but n’est donc pas de devenir parfait. Le Daishonin dit en substance : « Quand bien même ce serait sa dernière existence en ce monde, pourquoi devrait-il ne pas faire d’erreurs » ? Nés en tant qu’humains, seules la pratique et la défense de la Loi ont de l’importance. C’est l’instant le plus élevé de la présence.

Jean-Denis : Alors que dans les six voies l’instant n’est pas décisif ?

Ce n’est qu’un effet.

Le Souverain de la Loi a déclaré : « C’est lorsque le Bouddha a fait la noble expérience d’avoir lui-même subi l’ensemble des souffrances de tous les êtres, qu’il manifeste le désir d’agir avec grandes rigueur et compassion et qu’il est alors capable de le faire ». Le Daishonin a en effet affirmé : « Moi seul reçoit chacune des multiples souffrances de l’ensemble des êtres ». Le commentaire stipule : « Il réunit ainsi en son corps toutes les souffrances de l’ensemble des êtres qu’il purifie par l’éveil dès ce corps, grâce à la lecture physique de Nam Myoho Renge Kyo ». Et le Daishonin d’écrire : « A présent, Nichiren et les siens qui récitent avec respect Nam Myoho Renge Kyo sont le père de tous les êtres, parce qu’ils sauvent des souffrances de l’enfer sans intermittence ». Qu’on ne voit rien, c’est une chose. Mais que voit l’humain ? « L’intelligence, sans la foi, mène inéluctablement aux trois mauvaises voies » dit-il encore.

Dans son « Livre de la chance », Nagarjuna cite : « Auparavant, lorsque l’Ainsi-venant pratiquait la voie de bodhisattva, il ne produisit pas la moindre pensée qui ne fut pas profitable aux êtres rassemblés, quelque soit leur nombre. Sans limites sont les domaines des êtres… La masse de mérites possédée par les êtres, quelle qu’elle soit, provient de l’aspiration à l’illumination des bodhisattva ». Cela est inconcevable. Tous les mérites que montrent les êtres dans les neuf mondes proviennent de l’aspiration à l’éveil des bodhisattva. Ils ont donc entraîné avec eux une infinité. Il est dit encore : « Les racines de bien pleinement consacrées à l’éveil ne disparaîtront ni ne seront réduites à rien jusqu’à ce que l’on prenne place au cœur de l’éveil ». Tous les actes relatifs à l’éveil ne peuvent disparaître puisqu’ils sont en dehors des trois mondes, en dehors du temps et de l’espace. Dès que l’on entre dans l’enseignement du Bouddha, tous nos actes relatifs à la Loi deviennent le lieu de notre obtention de l’éveil.

Dans son traité sur « Les quatre bienfaisances » Nichiren écrit : « Lorsque, pendant d’innombrables éons, l’Ainsi-venant Shakya effectua les pratiques des bodhisattva, il rassembla tous les mérites et vertus qu’il avait accumulés, en obtint les œuvres et vertus en son corps sous la forme de soixante-quatre parts. Il en utilisa une pour lui et laissa les soixante-trois autres en ce monde, pour le moment où les cinq souillures auront jeté la perturbation, au moment où l’illégitimité sera générale, au moment où les offenseurs de la Loi inonderont le pays… ». Ainsi le vénéré Shakyamuni laissa t-il la majeur partie de ses mérites, afin qu’ils constitue le soutient de la vie de ses disciples dans l’époque troublée qu’il voyait arriver. Et le Souverain de la Loi enseigne : « Peut-être pensez-vous que tous les êtres des six voies n’ont pas de relation avec votre vie personnelle. Le bouddhisme nous dit qu’en fait il y en a une. En effet, tous les êtres deviennent mutuellement le père, la mère, le frère, la sœur, pour les autres. Dès lors, à partir du moment où il y a une relation de causes mutuelles, il doit inévitablement y avoir de la reconnaissance réciproque pour la bienfaisance. En fait, lorsque l’on réfléchit d’une manière globale au monde, si nous pouvons vivre ainsi au quotidien c’est que sans nous en apercevoir nous bénéficions de la grâce de tous les êtres vivant sur cette planète. Là réside la bienfaisance de tous les êtres ». Autrement dit, le fait de pratiquer, c’est-à-dire d’éveiller l’état de Bouddha chez les êtres, constitue pour nous la manifestation de notre reconnaissance envers la bienfaisance de tout ce qui est.

« Au début de la pratique, ce ne sont que des pensées fantasques mais, progressivement, d’autres pensées surgissent. On finit par saisir des choses extraordinaires, que l’on aurait jamais saisi si l’on ne pratiquait pas. Cette « compréhension merveilleuse » finit immanquablement par apparaître. Si vous récitez sérieusement le Daimoku envers le Gohonzon, elle viendra. Elle fera apparaître alors d’immenses œuvres et vertus qui traverseront le futur infini » a déclaré le Souverain de la Loi. Telle est la qualité inhérente à la récitation de Myoho Renge Kyo. Si, lors de la pratique, on parvient à soulever quelque peu la chape de plomb qu’est le moi, alors des « choses » merveilleuses peuvent monter de notre propre corps. Cela naît de notre relation avec le Honzon. Il dit encore : « Cet enseignement est appelé l’enseignement de la perfection et de la soudaineté. Il y a là trois logiques. La première est la progression par étapes. Lorsqu’on a constamment la foi dans les oeuvres et vertus de la Loi merveilleuse, parfaite, soudaine et ultime, apparaît le véritable aspect de la réalisation de la voie du Bouddha, que l’on soit petit moine novice ou fidèle débutant. Ensuite, deuxième logique, il arrive qu’au cours d’une longue pratique, soudainement, on obtienne un très grand état de vie, des œuvres et vertus semblent briller alors de mille feux, une grande joie surgit, l’éveil apparaît. Pourtant, le jour suivant, on retombe dans diverses souffrances en raison des entraves liées aux fautes du passé. Enfin, la vie de celui qui, avec respect, récite Nam Myoho Renge Kyo, apparaît telle quelle en tant que Bouddha de la fleur de lotus substantifique du chapitre Durée de la vie de la doctrine originelle, avec ses significations inconcevables ». Il y a donc une progression par étapes, où les pensées, naturellement, deviennent de plus en plus lumineuses. Une progression soudaine où, après une longue pratique, un éveil partiel plus ou moins profond surgit de notre corps. Et enfin, de toutes façons, pratiquant matin et soir nous devenons le Bouddha. Nichikan Shonin a déclaré : « Pratiquer jour après jour, mois après mois, années après années est l’apparition du Bouddha ».

« A certains moments, notre passé et notre présent, noyés dans la souffrance de nos actes dans les trois mondes des six voies, sont éclairés et purifiés par la Loi merveilleuse et nous recevons le bienfait de la vie et de la mort identiques au nirvana. A d’autres moments, c’est nous-mêmes, comme des bodhisattva sortis de la terre, qui sommes éclairés et qui, du point de vue de l’éternité, ressentons une immense joie de par notre lien avec le bouddhisme… Mais lorsqu’il nous arrive d’observer et d’éclairer la vie de chacun des dix mondes en nous y éveillant, ceci ne représente pas l’aspect essentiel, mais l’aspect éphémère. Car ceci dépend de nos capacités et situations individuelles et, par conséquent, demeure subjectif. En terme de corporéité et de fonction, cela tombe dans la catégorie de la fonction » dit le Souverain de la Loi. Autrement dit, tous les éveils partiels que nous pouvons obtenir, et qui enjolivent nos existences, sont toujours à relativiser puisqu’ils ne sont que des fonctions partielles de la corporéité de Myoho Renge Kyo. Dès lors, quelle que soit la qualité de vie obtenue en pratiquant, la référence unique, l’aune de notre perspicacité est toujours l’enseignement du Souverain de la Loi. Nos réalisations personnelles peuvent toucher au vrai, il convient néanmoins de les retravailler en fonction des siennes.

Nous lisons, dans le sutra de Vimalakirti : « Dans le parc des formules de mémoire parfaite, les réalités non polluées forment les arbres d’une forêt ». Le commentaire précise : « Le fait que la personne retienne tous les enseignements du Bouddha, sans rien en perdre ni les laisser se disperser, est semblable à un parc. La vérité des enseignements qu’il garde en lui est élevée, touffue et étendue, comme le feuillage des arbres ». Tel est bien ce qui se passe dans nos vies. A force d’entendre et de garder en soi, de se remémorer les points de doctrine, les formules de mémoire parfaite restent en nous. Ces formules, ces concepts, ces vérités sont tels des feuillages qui rafraîchissent nos souffrances au sein des six voies. Les réalités non polluées sont les enseignements du Bouddha, et le fait de les retenir nous permet de rafraîchir nos souffrances et celles des êtres.

Roberte : C’est beau et encourageant.

Au moment de l’instant suprême, celui de la mort, « sachez que même sans guérir de la maladie et avoir à faire face à la mort les souffrances de l’enfer s’effacent, la maladie est vaincue, et les trois actes, physique, verbal et mental s’harmonisent immanquablement. Alors, les quatre souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, de cette vie, se transforment en quatre vertus de permanence, félicité, soi et pureté ». Dans son enseignement oral le Daishonin enseigne : « En récitant avec respect Nam Myoho Renge Kyo dans la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort, nous soufflons le parfum des quatre vertus. Namu est la perfection de la félicité ; Myoho est la perfection du soi ; Renge est la perfection de la pureté ; Kyo est la perfection de la permanence ». Nos vies sont ces quatre vertus. Dans le chapitre du stupa précieux du lotus nous lisons : « Des quatre cotés du stupa émanaient des parfums de tamara et de santal, emplissant le monde ». Le Daishonin précise : « Les quatre cotés sont la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort. Ces quatre aspects ornent notre stupa personnel. Lorsque nous récitons Nam Myoho Renge Kyo, à la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort, nous exhalons le parfum des quatre vertus ». Un commentaire ajoute : « Ainsi, la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort sont, certes des souffrances, mais, en même temps, elles représentent le stupa précieux de la valeur de notre vie, quatre scènes dépeignant sa dignité ».

Dans « l’Eveil à la foi dans le Mahayana » d’Asvaghosa nous lisons : «  La Loi véritable imprègne de son parfum sans cesse de manière répétée. C’est pourquoi le cœur illusoire s’éteint et le corps de la Loi apparaît ».

Merci de votre attention.