Paul Moncelon

 

Cours n°1

 

L’enseignement du Bouddha Originel.

 

 

1- La pratique.

 

Ce cours a pour objet la pratique dans notre école. Toutefois, avant même de traiter de la pratique quotidienne, nous allons avant tout clarifier certains concepts qui doivent, en principe, habiter l’esprit de tout un chacun.

Dans le chapitre Hoben du Sutra du Lotus, que nous récitons matin et soir, le Bouddha Shakyamuni indique que la sagesse des éveillés est infiniment profonde et incommensurable. Concernant cette sagesse propre aux éveillés, le Bouddha Originel, Nichiren Daishonin, affirme : « Cette sagesse consiste à réaliser que les dix ainsi°, qui sont l’aspect réel des phénomènes, apparaissent en tant qu’effet ». Les trois premiers des dix ainsi sont l’aspect ou ce qui est perceptible, la nature ou le caractère particulier, et la corporéité qui s’exprime dans les deux premiers ainsi. Cela signifie que le corps et la pensée, qui sont l’aspect réel des choses puisque, hormis les phénomènes il n’y a pas d’aspect réel, apparaissent en tant qu’effet. La sagesse consiste donc à s’éveiller au fait que le corps et l’esprit apparaissent en tant qu’effet. Ceci est valable pour tout ce qui existe dans la mesure ou tout possède un corps et un esprit provisoires. Et, est-il dit, ces effets qui forment l’aspect réel à chaque instant sont la substance fondamentale de la Loi. Autrement dit, le fait même de l’apparition des phénomènes innombrables en tant qu’effet permanent, constitue la Loi sublime : Myoho Renge Kyo.

Ce qui est extrêmement important est de mettre l’accent sur le fait que si le corps et la pensée apparaissent en terme d’effet, jamais, jamais, jamais personne, sous le ciel, n’a été cause de quoi que ce soit ! Notre propre corps ne nous appartient pas, nous le découvrons en tant qu’effet. Notre pensée ne nous appartient pas non plus et nous la découvrons en tant que pensée qui jaillit en nous, et s’impose. En fait, la totalité des phénomènes échappe totalement à l’humain. Tout apparaît en terme d’effet. Jamais, y compris dans le règne humain, il n’est, à strictement parler, de cause. Cela n’existe pas, tout s’impose. Notre corps s’impose à nous, notre pensée s’impose à nous, nos rides s’imposent également, personne n’est maître de quoi que ce soit. Personne ne dirige quoi que ce soit.

Mais du reste, comme l’affirme Nietzsche, c’est cette vue humaine selon laquelle nous sommes auteurs de… qui entraîne les multiples souffrances que les humains se partagent à l’envie. Donc, le premier point est de s’ouvrir au fait que, selon la sagesse de l‘éveillé, tout apparaît en tant qu’effet et, comme tout apparaît en tant qu’effet, rien n’a d’origine. Forcément, rien n‘a d’origine. Pensez bien que lorsque les philosophes grecs se sont heurtés au problème de la causalité, ils se sont vite rendus compte que, puisque ceci entraîne cela, puisque la cause entraîne un effet, mais puisque la cause est elle-même une somme d’effets, et qu’avant les effets il y a des causes qui sont elles-même des effets, et ainsi de suite, c’est inextricable. Aucun philosophe n’a osé regarder en face la causalité parce que la régression à l’infini terrifie les esprits le plus médiocres. La causalité remonte à l’inobservable, dans la mesure où il n’est pas de point de départ. Et donc, l’invention d’une cause hors de la causalité comme dieu, par exemple, ou le souffle divin, ou je ne sais quelle chose, équivaut à une fumisterie puisque, ne comprenant pas la causalité, on la nie en instituant une cause sans cause antérieure. Ce qui est éminemment contradictoire. Et beaucoup, parmi les plus sérieux, comme Schopenhauer, se sont rendus compte que tout intervient en terme d’effet. Ils n’ont pas cependant osé dire que puisque tout se produit en terme d’effet, personne ne peut rien comprendre ni à sa propre vie ni à celle d’autrui. Donc, il n’y a jamais de cause, à strictement parler, ni dans le règne humain ni en deçà. La volonté n’existe pas, l’acte n’existe pas, ce ne sont que des choses constatées. L’esprit prend note, un point c’est tout. Ou si vous préférez, un peu plus philosophiquement, l’objet momentané de la conscience est toujours le passé de notre réalité. C’est comme pour la sonnerie d’un portable, cela apparaît. On y réagit. Jamais la pensée ne peut être cause « cause » de quoi que ce soit. Jamais l’individu n’est maître de son ressenti.

Dans ces quelques points il convenait d’ouvrir l’esprit, dans son fonctionnement usuel, à la pensée de l’éveillé. Le Souverain de la Loi, Nikken Shonin affirme que notre corps, c’est-à-dire nous-mêmes, existe en fonction des causes et des conditions et montre l’aspect des effets et des rétributions. Donc, tout ce qui est dans le monde montre l’aspect des effets dans la momentanéité, et la rétribution des actes depuis un passé infiniment lointain. Et, lorsque l’on dit que le corps et la pensée existent en fonction des causes et des conditions, c’est-à-dire de « nyoze in et nyoze en », « nyoze in » c’est le karma, que l’on ne voit jamais avant qu’il n’apparaisse, et « nyoze en » c’est l’environnement intérieur et extérieur dans lequel on est, et qu’on ne fait que découvrir dans la momentanéité. C’est-à-dire que la cause en soi et l’environnement intérieur et extérieur apparaissent nécessairement en terme d’effet.

Ainsi, la conscience momentanée que l’on a des choses, est forcément le passé de notre réalité. L’aspect réel de notre existence ne peut dès lors que nous échapper. Nous ne sommes jamais dans le présent momentané. Plus exactement, le corps et son environnement, qui sont non duels, qui sont non deux, qui sont « Un » pour l’éveillé, sont toujours le présent en terme d’efficience, alors que la pensée est toujours le passé immédiat du corps et de son environnement. Et, alors que la logique humaine usuelle croit arbitrairement en le contraire, à savoir que la pensée dirige le corps, il n’en est rien. La pensée prend note de…Prend acte de… De quoi ? de la relation simultanée du corps et de son environnement qui ne sont qu’une chose unique et sans origine. Merleau Ponty écrivait : « Ce n’est pas moi qui me fait penser, pas plus que ce n’est moi qui fait battre mon cœur ». De ce point de vue, du reste, il n’est pas réellement de perception d’objet dans les six voies°. En fait, avec la sagesse humaine usuelle, il est des choses que l’on ne peut pas envisager sans pratiquer le Bouddhisme. Le Bouddha déclare qu’il voit telles et telles choses, mais nous ne pouvons pas voir ces choses puisque nous sommes des humains ordinaires. Mais comme le Bouddha déclare voir certains objets, il convient d’entendre ce qu’il dit, et de le garder afin de s’y éveiller de façon à améliorer notre qualité de vie. Car garder permet de voir.

Les sutra de la sagesse, qui sont antérieurs au sutra du Lotus, déclarent à propos du Bodhisattva, qui est l’être qui s’est engagé sur la voie de l’éveil et tente de sauver l’infinité des êtres : « On appelle Bodhisattva en raison de l’inexistence de l’être, de l’annulation de la notion d’être vivant. Le monde des êtres est une expression pour l’absence d’êtres, parce que le monde des êtres n’existe pas, il n’existe pas d’être vivant dans l’être vivant ». Aucun être déclaré vivant ne possède en lui le principe de son existence. Nul n’est auteur de lui-même. L’existence s’impose pour tout ce qui est. Le Souverain de la Loi a déclaré que les êtres qui naissent des causes et conditions ne sont pas respectables. Le Daishonin a écrit que si l’on met ensemble des poissons ou des oiseaux, des poissons ou des oiseaux apparaîtront. Il n’y a rien, là, de respectable. Tout s’impose. Par contre, ce qui est respectable, c’est de sortir du cycle sans origine des six voies, c’est-à-dire des choses qui s’imposent, pour progresser sur la voie de l’éveil. Le Bouddha n’emploiera d’ailleurs le terme d’être vivant que pour qualifier ses disciples.

Si, avec un peu d’attention, on réalise que le corps et l’esprit, qui sont non deux, ne font également qu’un avec l’environnement, ce « un » en question qui est constitué de l’être et de son environnement n’a pas d’origine. Ce « Un » est celui de la Une pensée momentanée. Ce sont autant de choses que le Bouddha enseigne et qu’il faut garder en soi, à défaut de les voir, afin de s’y éveiller. Déjà, il faut les entendre, ensuite les garder puis, à force de pratique, s’y éveiller. Mais tout cela est moins difficile qu’il n’y paraît. Par exemple, et nous pouvons tous en faire l’expérience : notre pensée s’impose ! Tout n’est qu’effet !

Vous avez une amie qui vous dit « Ah, quelle horreur, hier soir je me suis angoissée toute la soirée et je n’ai pas pu trouver le sommeil avant trois heures du matin ». Si vous lui demandez si c’était son vouloir, d’être angoissée, elle vous répondra assurément que non. Qu’elle aurait préféré être joyeuse, aller voir un film avec une copine ou n’importe quoi d’autre. Donc, l’angoisse s’est imposée au détriment du « vouloir ». Elle dira « l’angoisse a duré six heures », mais il n’y a aucune liberté dans le fait que cela ait duré tant de temps et ce soit arrêté. Ce n’est que l’état de vie de l’angoisse qui s’impose, rien de plus. Et bien que de nombreuses pensées récurrentes aient accompagné cet état, elles n’en sont pas la cause. Et pourtant, nous sommes tous tentés de dire, a tort ,que l’angoisse venait de nos pensées plus ou moins noires.

Plus généralement, si l’on accepte l’idée selon laquelle, effectivement, l’angoisse s’impose, il faut alors convenir qu’il en est de même pour l’avidité, la colère, l’orgueil et ainsi de suite. Et c’est bien le cas pour la bêtise, par exemple. Personne ne souhaite être plus abruti que le voisin. C’est comme ça, cela s’impose au détriment du « vouloir ». Tous les états de vie dans les six voies sont des états circonstanciels qui s’imposent. « On » ne les dominent pas. Jamais, et c’est la raison pour laquelle on pratique, du reste. Mon propos est-il clair ?

Il est dit dans l’école « La vie et l’esprit momentanés emplissent le monde des phénomènes ». La momentanéité de l’existence, ou plus exactement l’instantanéité des existences, est quelque chose d’absolument inconcevable. De la même manière, la régression à l’infini des causes et des effets n’est pas un objet que l’on peut prendre en main et observer.. Et tout ceux, d’Aristote à Sartre, en passant par Kant, qui ont essayé d’observer ces deux « objets » ont déclaré forfait. Aristote, dans sa physique, déclare : « Une chose qui est une et la même n’est pas susceptible d’être éternellement engendrée et détruite ». Ah ! la belle logique que voilà. Aristote nous vend, comme une évidence imposante, une chose « une », ce qui n’existe pas puisque « une » chose est un composé hétérogène, et une chose « même », cela n’existe pas non plus. Myopie ou frayeur ? Et, plus de deux mille ans après, Sartre écrit : « ..en vain rappellera t-on ces passages de la Critique où Kant montre qu’une spontanéité intemporelle est inconcevable mais non contradictoire ». Tous, donc, admettent l’impossibilité de réfléchir sur l’instantanéité des choses, alors même que tous se voient drastiquement changer, tant en terme de corps qu’en terme de façon de penser, au fil du temps. On ne peut prendre en main l’instantanéité de notre propre vie, ni l’observer, ni y réfléchir. Elle se produit. Donc, le fait qu’il n’y ait pas d’êtres vivants en ce monde, le fait que « le « moi » soit une foutaise, un jeu de mot » comme disait Nietzsche, qu’on ne soit pas libres de nos décisions, de nos actes, puisque le corps et la pensée s’imposent, et que notre vie momentanée, à chaque instant, fusionne avec l’infinité phénoménale, sont des points qu’il convient de garder en nous et, en pratiquant, de nous y éveiller. Pour notre mieux être, bien entendu, car il ne s’agit pas d’injonctions provenant d’une autorité quelconque, le Bouddha est un médecin.

Aussi, alors que l’individu ordinaire aura appris à distinguer, dès son enfance, ce qui est le « moi » et le « non moi », le Bouddha enseigne que ce « moi » provisoire et circonstanciel, dont on est tous le héraut, est la fusion de la conditionnalité°, de la vacuité° et de la médianité°. Ce qui signifie que l’infinité phénoménale constitue, dans l’instantanéité, ce dont le « moi » va prendre un objet parmi d’autres en disant « je suis ça, c’est moi ». Le Bouddha Shakyamuni disait qu’un phénomène naît et meurt soixante quatre fois en l’espace d’un claquement de doigts. Que les choses apparaissent et disparaissent dans cet espace de temps est une réalité que l’on ne peut observer. Mais dans chaque naissance et mort successives l’être et son environnement ne forment qu’un tout, un tout unique dans lequel tout est lié. Dans l’instantanéité, l’infinité est un corps unique.

Actuellement, dans certaines écoles du Bouddhisme provisoire, on se gargarise de la notion d’interdépendance des phénomènes. On parle par exemple du papillon qui, battant de l’aile ici ou là, déclenche un typhon à un autre point du globe. Mais là n’est pas le sens profond du concept. Ce concept signifie que, dans l’instantanéité, la totalité phénoménale est « un ». Ce n’est qu’un corps. Donc, pour l’éveillé l’ensemble illimité fusionne en un tout.

Le Souverain de la Loi a déclaré : « Aucun corps, aucune existence n’existe en tant qu’individualité ». Pour nous humains, l’individualité semble aller de soi, alors que le Bouddha y verra la fusion provisoire d’un ensemble que l’on ne peut voir. Il s’agit de la conditionnalité, de la vacuité et de la médianité. De cette fusion jaillira un fruit momentané nommé objet de la conscience, en sachant bien sûr que la conscience et son objet ne sont pas deux. C’est ce que voit le Bouddha. « Le « moi » étant la fusion provisoire de la conditionnalité, de la vacuité et de la médianité, le « moi » est inconcevable » a enseigné le Souverain de la Loi.

Le même auteur a déclaré « Lorsque, au moment de l’éveil, nous percevons notre « moi » véritable, nous-mêmes, tels quels, devenons l’intégralité du monde des phénomènes ». Il affirme également : « Une existence, un dharma, communique avec toutes choses et est, tel quel, une existence inconcevable. Chaque phénomène est ainsi égal et en non dualité avec le monde de l’existence inconcevable ». Les voies extérieures, c’est-à-dire les philosophies et religions hors le Bouddhisme, ne résolvant pas la nature de l’existence du « moi » et, bien au contraire, s’appuyant sur ce « constat » sur lequel tout le monde s’accorde, « moi », aussi visible que le nez au milieu du visage, partent de la souffrance issue du « moi » pour aboutir à plus de souffrances. S’appuyer sur de l’inexistant pour fonder une logique est délétère. Ceci entraîne cela. Ce qui apparaît comme un constat circonstanciel « j’ai chaud, j’ai froid, je pense » ne peut éclairer le fait d’exister. Ce n’est que le passé immédiat du présent.

Arlette : « Je pense que Kant va plus loin, quand même.

Ah ! Non ! Pas du tout.

Arlette : « Mais si ! la volonté du bien qui est en chacun de nous. Que chacun, selon sa conscience, agisse d’une manière qui puisse être universelle ».

Oui, je connais ce propos moralisateur de Kant, mais Nietzsche l’a remis en cause en soulignant qu’il ne peut y avoir deux actes identiques, et que, pour chacun, les raisons qui président au « même » acte sont différentes. Pour autant, Kant ne pouvait imaginer que l’acte en question, le plus élevé, soit l’apparition de l’éveil en tant qu’effet. Et dans notre école, Nam Myoho Renge Kyo est la sagesse par excellence, c’est l’effet de l’éveil qui, effectivement, entraîne toutes les intentions, fussent-elles les plus mauvaises. Mais la bienveillance de Kant avait d’autres limites que celle du Bouddha Originel. En outre, n’oublions pas que Kant, après avoir été au bout de sa réflexion, en revient à la croyance en dieu, en l’âme et en sa vie éternelle, ce qui est une autre façon de vendre un « moi-qui-perdure-à-l’identique ». Par contre, il est vrai que Kant a été le premier, semble-t-il, a dire que le temps et l’espace faisaient partie de l’intuition que nous avons des objets, mais n’appartenaient pas à ces objets. Dire qu’il n’y a pas d’espace et de temps en soi est vrai. Par contre, lorsque Kant, assis sur sa chaise, déclare qu’il va montrer qu’il est libre de faire ce qu’il veut et dit «  je me lève exactement au moment où je le décide, et ainsi aurais-je créé un acte qui ne soit pas un effet », c’est de la foutaise. Comment une décision pourrait-elle être autre chose qu’une somme d’effets ? Kant, là, nous trompe, il ment, il manque pour le moins d’honnêteté. La probité, chez Kant, est très relative. Rien à voir avec l’extrême exigence de Nietzsche. Pour en revenir à l’acte, en tant que décision libre, cela n’existe pas. Tout n’est qu’effet circonstanciel. Et nous n’ignorons pas que tous les penseurs se sont échinés en vain à prouver l’existence de la liberté, du libre arbitre. Tous ont cherché, la plupart se sont leurrés ou ont menti. La causalité, dans les trois phases du temps, et l’instantanéité de l’existant sont les deux grandes frayeurs sur lesquelles les plus beau esprits se sont évanouis. Seul l’éveil ultime fusionne avec ces deux objets. La réflexion ne peut y entrer. C’est comme ça. Aucun n’a eu le courage de lâcher prise au point de s’éveiller.

Cela étant, Kant a également déclaré que ce que nous percevions de la réalité n’est, en fait, que notre état intérieur. Ca, c’est bien aussi. C’est, en général, inutilisable, mais c’est bien de le dire. Kant n’a pu s’en servir et personne, du reste, ne s’en sert. Ca fait juste beau dans les salons où l’on cause. Cela fait partie de ces « vrais » relatifs issus de la pensée philosophique. « Vrais », mais inapplicables. Là réside l’écueil majeur du travail de la pensée. Il en va tout autrement du Bouddhisme qui, lui, repose sur une mise en pratique physique des concepts.

Que dit le Bouddha à ce propos : « Bien que l’objectivité et la subjectivité soient une dualité, la non dualité de l’objectivité et de la subjectivité est le témoignage intérieur de l’éveillé ». Alors que tous les êtres humains se ressentent comme des sujets percevant des objets, ce qui entraîne des « moi, je suis objectif », « moi, je suis pragmatique » et toutes les inepties que les humains sortent, en général, pour traiter de l’aisance avec laquelle ils se déplacent dans le monde, comme le dit Kant : l’objet et le sujet sont Un. Ce qui fait que le « monde » n’est jamais perçu en tant que ce qu’il est. Le « monde » étant la relation du corps avec ce qui ne l’est pas, il est clair que plutôt que de voir le monde, nous ne voyons que notre propre corps. Comme l’a souligné Merleau Ponty. « Voir ce n’est pas voir. Voir autrui c’est essentiellement voir mon corps comme objet. Là où je dis que je vois autrui, il arrive surtout que j’objective mon corps ».Voir à l’intérieur et à l’extérieur de soi n’existe pas. On ne voit jamais que l’intérieur de soi, sans s’en douter le moins du monde, en général.

Jean Denis : «  Peut-on rapprocher ce point de logique de la fusion sujet/objet qui caractérise l’éveillé ? ».

Il y a une différence de taille. Pour ce qui est du concept de « kyochi myogo », qui signifie union obscure du sujet et de l’objet, l’objet est la substance de l’infinité phénoménale, et seul le Bouddha fusionne avec cet objet. L’être ordinaire, lui, projette son propre corps, et donc ne perçoit qu’un phénomène, au détriment de l’en soi réel de la chose ainsi masqué. Et, comme le pensait Schopenhauer, puisque nous même sommes phénomène, nous pouvons, en observant notre existence, percevoir l’en soi qui nous est propre et, ainsi toucher l’en soi de tous les phénomènes. Ce qui est juste, même s’il n’a pu le réaliser. Il est évident qu’il n’y a jamais de perception de l’en soi de l’objet. Nous ne percevons jamais la réalité objectale, à strictement parler. Percevoir, c’est mettre en avant son corps. Le corps, dans son entier, implique une perception qui devient ensuite l’objet de la conscience. Par exemple, le « même » objet, sera perçu différemment selon l’age de l’observateur. L’objet aura été « modifié » par le corps qui le perçoit. Tout au moins, l’image évoquée par l’objet dans le corps de l’observateur aura été différente selon les moments de la perception. Toutes les souffrances naissent de cette illusion : se promener dans un monde objectif.

Ainsi, pour commencer à parler de la pratique dans notre école, j’avais estimé qu’il était nécessaire de revenir sur certains points importants. Nous lisons : « Le véritable aspect des phénomènes se situe avant le discernement, ou la distinction ». Autrement dit, l’aspect véritable de notre vie, à nous tous, se situe avant que nous en prenions conscience. Que l’on entende, que l’on voit, que l’on pense, que l’on touche ou sente, l’aspect réel de notre vie s’est produit avant le discernement. C’est toujours le cas. Donc, de ce point de vue également, nous apparaissons en tant qu’effet. Et si un kangourou décide d’uriner plutôt sur ce tronc d’arbre que sur celui-ci, il ne peut en fait, se départir de son corps de kangourou, de sa vision de kangourou, et des objets de kangourou qu’il perçoit. Ces objets sont son monde, et ces objets ne peuvent appartenir au monde de la libellule. Il en est de même pour l’humain. De ce point de vue, l’humain n’a pas plus de privilèges que le cafard. Il est jeté dans le monde, comme le disent bien naïvement Heidegger et Sartre, avec un corps. Ce corps lui donne le sentiment de percevoir un monde extérieur, et c’est tout. Et l’objet de la conscience, ou si vous préférez, l’idée qui naît à chaque instant, est toujours le passé de l’aspect réel de la vie des êtres.

Pour cette raison, la pratique de l’enseignement du Bouddha a pour objet de nous faire quitter le cycle infini des six premières voies. Et tous les principes que l’on vient d’évoquer constituent une partie de la vision de l’éveillé, bien nous ne puissions les voir.

Au fait de cette réalité le grand maître Zhiyi a enseigné : « La foi permet de comprendre immédiatement le principe que l’on entend ». Si l’on a la foi, entendre les principes profonds enseignés par l’éveillé et les garder en soi permet de s’y éveiller immédiatement. En cela, la foi devient la sagesse de l’éveillé. Il s’agit de « voir » en soi ce que le principe contient. Plus exactement, ce sont les vertus inhérentes au concept qui ouvrent la vue. Par contre, s’il n’y a pas de foi et que les principes sont rejetés, c’est fini. Il n’y a plus rien. La foi seule permet de garder et de comprendre le principe entendu. Du reste, il est dit que le Bouddha guide les êtres par la parole. Les êtres, entendant les paroles, vont garder en eux ces objets par la croyance et, pratiquant jour après jour, les objets gardés secrètent la sagesse dont ils sont porteurs. Il s’agit donc de la sagesse de l’éveil, pour ce qui concerne l’enseignement du Bouddha. Zhiyi a également déclaré : « L’observance permet de réaliser immédiatement la voie du maître et disciple ». L’observance c’est garder. Il est également dit que l’« on atteint l’éveil par le fait de recevoir et garder, mais c’est par le fait de garder que l’éveil se produit ». « Recevoir est facile, garder est difficile » enseignait le Daishonin. Il a également déclaré : « Vous devez réaliser l’éveil en prêtant attention au fait de ne pas confondre celui que l’on doit suivre avec celui qui suit ». Celui que l’on doit suivre, dans notre école, est la personne unique du Souverain de la Loi. Celui qui suit, en réalité, c’est notre esprit. Par contre, suivre son propre esprit équivaut à se rendre esclave de la prolifération désordonnée des choses qui apparaissent et disparaissent continûment. Suivre les choses passées, qui apparaissent en l’esprit, n’est pas suivre la voie. La raison en est que l’esprit n’est que le lieu d’un passé illusoire.

Après avoir tiré à boulets rouges sur le « moi », sur le corps et la pensée, qui ne sont que des effets sur lesquels on ne peut en toute certitude se baser, l’enseignement du Sutra du Lotus révèle que la personnalité n’a pas d’origine. La personnalité est éternelle. Cette personnalité est momentanée, elle est telle que deux chiens ne seront jamais identiques. Tant l’un par rapport à l’autre, que l’un vis-à-vis de lui-même. C’est quelque chose de singulier et d’unique. Cette personnalité est présente en permanence puisqu’elle ne peut ni apparaître ni disparaître. Or, il ne s’agit pas seulement des images mentales qui défilent dans l’esprit du quidam en question, mais il s’agit de son esprit, de son corps et de l’intégralité du monde des phénomènes qui, dans l’instantanéité de l’existence, naissent et meurent. Lapidaire, Vasubandhu a déclaré : « L’instant est l’apparition de la nature propre périssant immédiatement ». Il s’agit donc bien d’une individualité qui naît et meurt immédiatement. Et, dans cette instantanéité, en plus du corps et de l’esprit, est contenue l’intégralité des phénomènes de l’univers. Cette infinité du monde phénoménale fait partie, dans l’instant, de la personnalité. N’oublions pas Parménide : « L’étant est empli d’étant, l’étant touche à l’étant ».

Le Souverain de la Loi a déclaré que l’intégralité des phénomènes de l’univers qui constituent, à chaque fraction d’instant, une personnalité, est le fruit des œuvres et vertus engendrées. Ou des méfaits engendrés. Tout ce qui est provient donc d’une infinité avec laquelle il est lié, et l’apparition momentanée du corps et de l’esprit révèle le corps des œuvres et vertus engendrées. Ou le corps des souffrances engendrées, ou le corps de l’avidité engendrée. Le corps et l’environnement le montrent à chaque instant, pour qui sait voir. Cette personnalité n’a pas d’origine. En outre, elle naît constamment autre, puisque la « mêmeté » Hégélienne n’est qu’une naïveté. « Plus l’organe est grossier et plus il voit l’identité » martèle Nietzsche.

Le Bouddha originel affirme que l’on s’éloigne des souffrances de la vie et de la mort lorsqu’on réalise que la substance de la personnalité ne peut ni apparaître ni disparaître. Alors que nous, humains, voyons constamment apparaître et disparaître les choses et les êtres, aux yeux de l’éveillé tout est permanent. Rien ne peut apparaître ni disparaître. Les grecs avant Socrate, d’ailleurs, ne concevaient pas du tout que quelque chose puisse naître de rien. La création « ex nihilo » n’est qu’une invention d’individus effrayés par la causalité. Plus profondément, cela signifie également qu’aucun phénomène n’est conditionnel. Alors que nous voyons les phénomènes être produits par des causes et des conditions, comme nous le disions au début du cours, en réalité, aucun phénomène particulier n’a d’origine. Il ne naît ni ne meurt, et est absolument inconditionnel. Un phénomène ne dépend jamais d’un autre phénomène. Ultimement parlant, chaque phénomène est sa propre fin inconditionnée. Tout phénomène est absolu. Cela, Parménide l’a pressenti.

Jean Denis : « Ce concept ne va t-il pas à l’encontre du principe d’interdépendance ? »

Si ! Bien sûr ! Parce qu’il y a divers niveaux de profondeur dans l’enseignement du Bouddha. Tout d’abord Shakyamuni a déclaré que l’individu est le produit des causes et des conditions, parce que chacun peut le comprendre, se faire à ce type de point de vue. Il a ensuite traité de la vacuité des choses et des êtres, et les êtres ont pu graduellement sonder cette réalité. Et l’enseignement définitif du Sutra du Lotus enfin, affirme l’absolue pérennité de la présence. Dès lors, toute forme, toute personnalité meut l’infinité à chaque instant, parce que la personnalité est infinie. Ce ne sont pas deux choses distinctes. Elle l’a toujours mue. Elle la meut dans l’avidité, elle la meut dans la souffrance, elle la meut également dans l’éveil. Et cette personnalité ne peut ni apparaître ni disparaître. Ainsi avons nous éclairé certains points utiles permettant de comprendre quelque peu la pratique de la Voie du Bouddha.

Résumons nous, tout apparaît en terme d’effet et tout est instantané. Tel est provisoirement l’objet que nous tentons d’observer. Mais il y a encore un point à mettre en évidence. La vie du Bouddha, est-il enseigné, est sans commencement ni fin. Comme pour tout le monde, du reste. Et ce à quoi le Bouddha s’est éveillé est le principe véritable et absolu, c’est à dire la Loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Autrement dit Myoho Renge Kyo. Avec ce dernier élément, l’objet inconcevable est mieux délimité. Souvenons nous que le grand Démocrite d’Abdère a déclaré préférer comprendre une relation causale plutôt que d’obtenir le trône de Perse. Les êtres qui se sont penchés sur le problème de la causalité n’ont jamais réussi à comprendre comment cette causalité fonctionne, pour la bonne raison que seul l’éveillé perçoit la causalité, et la causalité réside en cela que la cause et l’effet sont simultanés. Or, le Bouddha Originel affirme que cette cause et cet effet simultanés sont une unité. Ce Un est celui de la présence momentanée. C’est le Un de la forme/pensée momentanée. Ce Un n’a pas de point d’origine. Ce Un est hors le temps. Et si, la vie du Bouddha est sans commencement ni fin, est hors le temps, plus généralement les dix états° sont hors le temps, « à l’origine » dit le Daishonin. Dès lors, tout phénomène singulier étant l’expression d’un des dix états, et des dix états dans les dix états, aucun phénomène n’a d’origine dans le temps.

Le Souverain de la Loi a mis en évidence le fait que le comportement de chacun, ses actes en somme, découle de sa sagesse. Pourtant, l’homme ordinaire, entendant parler de l’enseignement du Bouddha, peut être amené à envisager de pratiquer cet enseignement. Mais lorsque l’être n’est pas seulement un être ordinaire mais qu’une profonde sagesse existe en lui, alors son action est nécessairement l’expression de sa sagesse. Les actes, en général, montrent la sagesse de la personne. Lorsque le Bouddha, à l’origine du passé infini, prend conscience du Myoho Renge Kyo de la doctrine originelle, aussitôt sa pratique apparaît. Percevant et fusionnant avec l’intégralité du monde des phénomènes, naturellement sa pratique, le Myoho Renge Kyo, sort de sa bouche en tant qu’acte adapté, puisque c’est ce qu’il partage. Dans notre école, la Loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet existe, et son nom est Myoho Renge Kyo. Cette Loi unique de Myoho Renge Kyo contient les dix mondes° et les trois mille phénomènes° sans en omettre un seul. Autrement dit, la totalité phénoménale est Myoho Renge Kyo. Donc, tout ce qui apparaît en terme d’effet, en tant que somme d’effets dans une singularité unique, puisqu’il n’est pas deux feuilles d’arbres exactement identiques, tout ces phénomènes, ceux que l’on voit comme ceux que l’on ne peut voir, sont cette Loi unique.

Lorsque le Daishonin déclare qu’il est le premier pratiquant du Lotus au Japon, cela signifie que sa conduite jour après jour, en tant qu’individu, sa pratique en somme, sa corporéité, telle quelle, est celle du Bouddha de la cause originelle au moment originel hors le temps. Ce qui fait que le Myoho Renge Kyo que l’on récite est le comportement journalier du Bouddha. Ou, si l’on préfère, le Daishonin a montré l’apparition sans apparaître en février mille deux cent vingt deux. Il a révélé le comportement du Bouddha Originel en récitant Nam Myoho Renge Kyo, en inscrivant l’objet fondamental de vénération pour l’observation du cœur, et en laissant les instructions concernant l’estrade des préceptes durant une trentaine années. Enfin, il a montré l’extinction sans s’éteindre en octobre mille deux cent quatre vingt deux. Ses actes sont devenus, pour une certaine part, la pratique que nous effectuons nous mêmes. Son état intérieur et ses actes ne sont qu’une seule et même chose. Le Souverain de la Loi souligne le fait que, du vivant du Daishonin, son propre corps et son propre esprit étaient l’objet fondamental de vénération, l’invocation qu’il récitait lui-même était Nam Myoho Renge Kyo, et son corps et son environnement étaient l’estrade des préceptes. Ce qui fait que les trois grandes Lois ésotériques°, qui sont le fondement de l’enseignement du Bouddha Originel, étaient, de son vivant, son propre corps et son propre esprit. Tel est le sens de la présence.

Du reste, incidemment, après que le Dai Gohonzon fut inscrit par le Bouddha Originel, des disciples venus le rencontrer le trouvèrent en train de pratiquer devant l’objet qu’il avait révélé. Ce qui signifie que, bien que son propre corps et la Loi n’étaient qu’un, il pratiquait respectueusement devant la matérialisation de cette loi. Tel était son comportement en tant que personne.

Lorsque le Daishonin déclare qu’à l’origine sont les dix mondes, cela implique que l’Objet fondamental de vénération, le Nam Myoho Renge Kyo et l’estrade des préceptes, qui sont les trois corps du Bouddha, ont toujours existé. Il n’est point de commencement pour l’état d’éveil, comme il n’en est pas non plus pour les neuf autres. Aussi, lorsqu’un pratiquant demanda au Souverain de la Loi pourquoi nous pratiquions dirigés vers l’est, le matin, lors de la première méditation, il répondit : « Nous nous tournons vers l’est le matin parce que, dans son état de vie de Bouddha, Nichiren Daishonin le faisait. Les rois célestes Brahma, Indra, le soleil, la lune et toutes les divinités bouddhiques font partie de la Une pensée trois mille du Daishonin. Ainsi nous offrons la saveur de la Loi aux multiples cieux afin que s’accroisse le bienfait de la protection de la Loi ». Si l’on en revient à l’instantanéité de l’existence, qu’on ne perçoit pas, si l’on en revient au fait qu’à chaque instant tout est lié dans la non durée, à ce moment on peut comprendre que, alors que certains esprits scientifiques déclarent qu’environ quatre vingt dix pour cent de la matière échappe à notre perception, le Bouddha Originel, dans l’instantanéité, voie et influe nécessairement, de par son comportement, sur une infinité à laquelle il est lié. Sur une infinité dont il fait partie et qu’il partage.

Rappelons nous que le grand Parménide disait, « l’étant touche à l’étant ». Dès lors, quelque soit le type de terme employé, que certains empiristes naïfs traitent de « matière invisible » ou que les Bouddha parlent de divinités, il s’agit d’une réalité que certains supposent sans la voir, et que d’autres, par contre, utilisent librement grâce à leur profond état de vie. Le pauvre constat selon lequel nous ne voyons à peine que dix pour cent de la matière, en regard du dire du Bouddha Originel, déclarant que son action nourrit les innombrables divinités protectrices, nous ouvre sur une différence d’ampleur hallucinante. Chacun peut, dès lors, se référer au mode de perception qui lui semble le plus prometteur. Comme l’a finement souligné Bergson : « Concevoir est un pis aller pour qui ne peut voir ».

Et si tout apparaît en terme d’effet, il va de soi que seule la pratique, c’est-à-dire faire apparaître le Bouddha Originel : Myoho Renge Kyo, meut réellement l’intégralité phénoménale. En effet, en terme de qualité ressentie, tout à pour propension de rejoindre l’éveil ultime de la Boddhéité. La raison en est qu’instinctivement, tout se meut vers la plus grande satisfaction et la plus grande exultation. Et lorsque nous disons que tout se meut en fonction de l’éveil, nous pouvons parler de matière invisible ou de divinités, ces mots convergent vers une réalité unique que nous ne pouvons, pour l’heure, percevoir. Nous ne sommes pas plus contraints d’utiliser des mots sans objet tels que « matière invisible », qui naissent de l’ignorance des six voies, que nous ne devons refuser des mots tels que « divinités protectrices », qui émanent de l’action de l’éveillé. Qui plus est, comme l’a indiqué Schopenhauer à propos du concept de matière, nous ne pouvons voir que des formes. Dès lors, que ces formes provisoires prennent un certain nom, pour l’éveillé, en relation avec leur propension bénéfiques ou maléfiques, ne nous surprend pas. Souvenons nous que même l’extrême myopie nomme. Lorsque le Bouddha Shakyamuni affirme à un roi que grâce à ses œuvres bénéfiques le terrain qu’il a offert au Bouddha est empli de divinités bénéfiques qui le contemplent et se réjouissent, cela correspond a une réalité effective. Celle que le Bouddha perçoit. Que nous, humains, ne puissions voir que des arbres, ne plaide guère en faveur de notre état intérieur.

L’enseignement du Bouddha est ses propres actes. La pratique du Bouddhisme est donc une mise en forme du corps et de l’esprit puisque le corps et l’esprit ne forment qu’un tout. Cette mise en forme, nous la produisons matin et soir. L’ascèse du Bouddhisme consiste donc en une répétition d’actes effectués dans l’intention de s’en imprégner. Les rites de notre école ont donc pour fondement nécessaire les actes du Bouddha Originel. D’autre part, il est dit que si l’on voit une forme, on peut avoir une intuition du cœur de la forme, on peut avoir un sentiment quant au cœur de la forme. Dès lors, ceux qui négligent la forme négligent par voie de conséquence le cœur qui, lui, est en deçà de la forme. Ce qui fait que négliger le rite dans sa forme revient à négliger le cœur dont le rite provient. Cela parce que le rite est le cœur, le cœur est la forme. Les enseignements du Bouddha Originel sont immuables au sein des trois phases du temps, et les rites de notre école, qui sont l’expression physique des actes du Bouddha, semblent remonter à sept siècles et demi alors qu’en réalité, c’est faux. Les rites de notre école remontent eux aussi au passé hors le temps. Il est donc un caractère inséparable entre la merveille de la cause originelle et les rites, qui eux sont dans le monde phénoménal. L’enseignement de la merveille de la cause originelle devient, par les rites, le monde phénoménal. « Quand vous récitez Nam Myoho Renge Kyo en approfondissant votre conscience concernant le comportement du Daishonin en tant que Bouddha et que vous propagez la Loi, les nobles comportements du Bouddha se transposent dans votre vie. C’est la raison pour laquelle garder et protéger la Loi du Bouddha est un acte noble » a déclaré le Souverain de la Loi.

Lorsque le Bouddha Shakyamuni s’éveille, vers l’age de trente ans, à la Loi, il est logique de penser que la Loi lui était alors antérieure. Tout le monde peut le comprendre. Il s’est éveillé à un principe qui était là avant lui. Mais le Souverain de la Loi affirme qu’une Loi qui est antérieure à la personne est nécessairement un enseignement provisoire. Et, de fait, l’école orthodoxe de Nichiren insiste lourdement sur le fait que, pour nous, « la Personne est la Loi » et que la « Loi est la personne ». Pourquoi en est-il ainsi ? La raison en est qu’il n’y a rien avant la présence. La présence est permanente à l’origine. Notre présence est permanente et non circonstancielle, à l’origine. Or, il n’y a jamais de loi antérieure à la présence, de la même manière qu’il n’y a jamais de loi avant les phénomènes. Nous disons donc que « la Personne est la Loi » parce que rien n’a d’origine, rien n’a été créé.

Pour en revenir aux rites, après cette digression, Nichiren écrit à un bienfaiteur : « Vous aussi êtes quelqu’un qui aide le Bodhisattva Jogyo dans son action », et le terme action est identique à celui de « rite ». L’enseignement, qui est l’action du Bouddha, est les rites, les rites sont l’enseignement, c’est-à-dire l’action du Bouddha. Pour cette raison, le Daishonin a écrit : « Tous ceux qui désirent pratiquer le Sutra du Lotus en prétendant être disciples de Nichiren doivent faire comme Nichiren ». Il s’agit donc des actes. Ainsi commençons nous a voir apparaître ce que constitue la pratique dans notre école. Je l’espère pour le moins.

« Dans le fait que notre substance soit, telle quelle, la substance de la Loi merveilleuse, réside l’unicité de la personne et de la Loi » a écrit le Daishonin. Nam Myoho Renge Kyo est le corps de la Loi inconcevable, dépassant les notions de temps et d’espace, où la personne et la Loi sont uniques. Ce Nam Myoho Renge Kyo, est tel que tant sous l’angle de l’aspect, c’est à dire la forme phonétique, que sous l’angle de son contenu, l’éveil, le réciter entraîne l’identité entre le Bouddha originel et l’être ordinaire qui le récite. Il s’agit de l’identité du maître et du disciple. « Il n’y a pas la moindre différence entre le Daimoku que récite le Bouddha Originel et celui que nous récitons. Ce fait est particulièrement digne de louanges ». L’objet fondamental de vénération pour l’observation de cœur, inscrit par Nichiren, représente sa vision du monde phénoménal, à l’origine, à savoir les dix mondes. Lorsque nous récitons Nam Myoho Renge Kyo devant cet objet, nous agissons donc comme le Bouddha, en percevant ce qu’il voit. La seule variable étant l’esprit du pratiquant. Or, notre esprit est fréquemment comme une savonnette mouillée, on pense à n’importe quoi, tout incident l’envoi ici où là, mais sur le plan du rapport à l’objet qui est devant nous et de la production physique, la récitation du Daimoku, il y a identité. Ce qui se passe alors , si l’on continue jour après jour cette pratique, est que la qualité même du Bouddha Originel apparaît en nous. Le Daishonin a déclaré « l’esprit de l’enseignement que propage le sage se retrouve dans la pratique ». Ce qui signifie que l’esprit de l’enseignement est contenu dans la pratique. Pratiquant matin et soir, l’esprit de l’enseignement du Bouddha Originel devient notre propre corps.

Il est également dit, à propos du Bouddha Originel « Sa nature acquise est identique à sa pratique, sa pratique est identique à sa nature acquise ». Toute la grandeur de son état de vie est donc le Nam Myoho Renge Kyo de l’objet fondamental, et il nous le laisse en tant qu’effet de l’éveil. Possédant l’éveil ultime en son corps, le Bouddha formule le Myoho Renge Kyo en tant qu’effet de l’éveil, et nous, qui pratiquons, ne plantons pas des causes afin d’obtenir des effets, mais pratiquons l’effet de l’éveil pour en devenir la cause. De ce fait, pratiquer entraîne la nature acquise du Bouddha Originel en chacun. Nous engendrons sa nature en nous en produisant les mêmes actes que lui. « Pratiquer jour après jour, mois après mois, est l’apparition du Bouddha » a déclaré Nichikan Shonin. C’est clair, non ? Nietzsche, en outre, n’a-t-il pas affirmé « Ce n’est pas grâce à la connaissance, mais grâce à l’exercice et à un modèle que nous devenons nous-mêmes ! La connaissance n’a, dans le meilleur des cas, qu’une valeur de moyen ! »

Le Souverain de la Loi a déclaré « Le Bouddha est doté de grandes vertus et d’une grande force d’esprit. Il est capable de donner aux autres sa propre vie, la force de son cœur. De par cela, les êtres parlent comme le Bouddha et agissent comme lui ». Le Bouddha montre un modèle de comportement en tant qu’éveillé et les êtres, voyant que cela est possible, le font également. Ce modèle peut ainsi nous hisser hors de nos troubles usuels. En somme, la doctrine originelle que nous pratiquons exprime le principe merveilleux et absolu selon lequel celui qui enseigne et ceux qui reçoivent l’enseignement, ensemble, réalisent le corps du Bouddha demeurant éternellement en son état originel.

Brigitte : « Tout à l’heure tu as dit que tous les phénomènes sont inconditionnels, tu peux clarifier ce point ?

Le Bouddha Shakyamuni a déclaré : « Le vrai caractère des dharma conditionnés est inconditionné, et ce caractère inconditionné lui-même n’est pas conditionné ; ce n’est qu’une expression imaginaire forgée par la méprise des êtres ». Il a également affirmé : «Immobiles sont tous les phénomènes ; ils ne vont nulle part, ne viennent de nulle part et ne s’arrêtent nulle part ». Tout phénomène est absolu. Chaque personnalité est absolue. Selon l’enseignement, le mouvement phénoménal qui « entoure » le phénomène en soi est toujours l’expression des œuvres et vertus des propres actes du sujet. Le sujet est donc toujours l’auteur de ce qui survient, alors même que les évènements lui sembleront extérieurs. Mais rien n’est extérieur au sujet. Il s’agit en fait du concept de non dualité du principal, la Une pensée, et du support, l’environnement. L’ensemble « principal/support », ou « Une pensée/environnement », ne forme qu’un. Chaque individu entraîne donc, par le biais de son corps et de son environnement, ce qu’il a toujours été ou voulu être. En cela tout phénomène est absolu puisqu’il n’est façonné par rien d’autre que lui-même. Par contre il est vrai que nous, humains, ne pouvons voir que la conditionnalité. Nous voyons un mouvement de causes et de conditions, nous voyons les choses apparaître et disparaître du fait des conditions, alors qu’il n’en est rien. Dans sa grande lucidité Nietzsche a écrit : « Pourquoi parler à tort et à travers des événements et des hasards ! Il ne vous arrivera jamais d’autres événements que vous-mêmes ! Et quant à ce que vous nommez le « hasard », vous êtes vous-mêmes le bien qui vous échoit et le malheur qui vous tombe dessus » ?

Le Daishonin enseigne que « Le triple corps° sans artifices du Bouddha se trouve parmi les disciples et bienfaiteurs de Nichiren ». Cela signifie que « grâce au pouvoir inhérent au fait de recevoir et garder, de croire et de pratiquer la Loi sublime, la substance du Honzon apparaîtra sous la forme d’œuvres et de vertus chez celui qui, honnêtement rejette les moyens et récite Nam Myoho Renge Kyo ». En d’autre termes, la vie pure du Bouddha Originel Nichiren Daishonin s’ouvrira dans notre propre vie sous la forme du Bouddha doté éternellement du triple corps sans artifices. Et simultanément, mus par le sentiment de rigueur vis à vis de nous mêmes et de compassion vis à vis d’autrui, nous pratiquons la transmission de la Loi. A ce moment, l’état de vie du triple corps sans artifices du Bouddha Originel s’ouvre en nous et nous réalisons le fait de devenir Bouddha dès ce corps. Dans une lettre à Abutsu Bo le Daishonin écrit : « Nous sommes l’ainsi venant° à l’éveil originel dont le corps est doté du triple corps. Croyez-le et récitez Nam Myoho Renge Kyo ».

Le vingt sixième Souverain de la Loi, Nichikan Shonin, a expliqué : « Le Honzon représente l’objet facteur de lien, l’objet suscite la sagesse, et la sagesse guide la pratique. C’est pourquoi, si l’objet est incorrect, la sagesse et la pratique, en conséquence le sont également ». Autrement dit, dans l’enseignement du Bouddha Originel, le Bouddha laisse l’objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur, et cet objet nous permet d’observer notre propre cœur en pratiquant devant. Cet objet est façonné par les œuvres et vertus du Bouddha Originel, bien sûr. Les êtres ordinaires ont tendance à croire que n’importe quelle croyance ou objet de croyance est bon, pourvu qu’eux mêmes soient sincères, mais il n’en est rien. Ce n’est pas la sincérité qui détermine la qualité du rapport objectal, c’est l’objet qui détermine la qualité de la relation. Dans ce sens, il est préférable d’avoir une faible croyance dans un objet suprême, qu’une forte croyance dans un objet mauvais. Une forte croyance dans un objet mauvais entraînera nécessairement les souffrances inhérentes à l’objet. Mieux vaut ramer en ne comprenant rien à rien, tout en restant accroché au Daimoku et au Honzon, même si on passe pour un abruti à nos propres yeux, parce que seul l’objet est facteur de lien. Le grand maître Miao Le a affirmé : « Même si son intention n’est pas pure, celui qui garde l’objet correct se redressera ». L’objet est donc prioritaire au regard de l’intention, de la sincérité ou de la foi. Et telle est la forte indication du Daishonin « Si les actes du corps et de la parole relèvent du bien, l’acte de l’esprit, naturellement, sera le bien ». Tout étant effet, il n’est que l’acte physique qui soit réellement présent. La pensée n’est que l’effet de l’effet. Elle ne constitue en aucun cas un moyen pour être heureux, et à plus forte raison pour s’éveiller.

Comprenez moi, j’ai dit au début que le sujet et l’objet ne font qu’un, parce que tel est ce que voit le Bouddha, mais nous, humains, dans notre réalité ordinaire, nous sommes toujours dans une relation objectale. Quand vous flippez dans votre chambre en pensant que vous êtes la femme la plus malheureuse du monde, vous avez des mots qui vous traversent l’esprit, vous voyez des phrases se constituer, se sont des objets de croyance. Ces objets ne vous font souffrir que dans la mesure où vous les croyez vrais, ou que vous croyez qu’ils sont vous-mêmes, ce qui revient au même. Nous sommes donc toujours dans une relation objectale, et l’objet de la relation est notre état intérieur. « En réalité, la représentation de toutes les choses est la représentation de notre propre état intérieur » affirme Kant. Et, dans la mesure où l’état est un effet, nous sommes bel et bien pieds et points liés devant l’apparition de l’aspect réel provisoire de notre réalité.

Dès lors, entrés dans cette doctrine qui est la voie de l’éveil, la pratique quotidienne fait que tout doucement notre corps se façonne en se modélisant sur le Honzon. Il est enseigné que tous les Bouddha et Bodhisattva possèdent le Corps de la Loi et le corps vivant. On appelle Corps de la Loi le principe ultime dont ils ont eu l’arrestation dans leur corps, et on appelle corps vivant le corps de chair qu’ils ont confié à un père et à une mère afin de naître pour sauver les êtres. Alors que nous disions, au début du cours, qu’il n’y a pas d’êtres vivant dans le monde, parce que tout ce qui est effet ne possède pas le principe de son existence en lui, dans l’enseignement du Bouddha nous allons réaliser que ce qui porte notre corps, c’est le Corps de la Loi, parce que l’on pratique matin et soir, et, par ce fait, notre corps devient réellement un corps vivant. Pour cette raison, le Bouddha Shakyamuni appelle ses disciples Ananda le vivant, Shubuti le vivant, Kashyapa le vivant, car ces êtres portent le Corps de la Loi. Tout ce qui n’est pas ce type d’existence est une vie qui circule dans les six voies en fonction des causes et des conditions, qui montre l’aspect des effets et des rétributions depuis un passé infini, et ne possède ni origine ni fin. Il s’agit de l’errance générale et globale qui va, de la souffrance incessante, à la brièveté de la satisfaction ou de la joie.

Alors que les humains puérils, comme le dit Shakyamuni, ont le sentiment de diriger leur esprit, le Souverain de la Loi enseigne qu’à chaque instant il y a une multitude d’éléments qui jaillissent de ce qui n’est pas existant, de la mort si l’on veut ou, plus exactement, de la vacuité, et que ces éléments, naissant à chaque instant, produisent l’esprit des êtres. C’est-à-dire que, « bien que nous pensons être maîtres de notre esprit, il ne faut pas laisser notre esprit devenir notre maître », enseigne le Daishonin. Or, nous ne sommes jamais l’auteur de ce qui apparaît en notre esprit. « Penser… c’est une chose qui n’arrive jamais » soutenait Nietzsche. De son côté, Bergson a éclairé le fait que les signes avant-coureurs d’un événement n’apparaissent qu’après l’événement. Cela signifie que si l’événement n’a pas lieu, les signes avant coureurs n’existent pas, puisque l’événement seul les révèle. Il en va de même pour la pensée des êtres. Une pensée surgit en nous et nous pouvons, ensuite, reconstruire les raisons ayant justifié cette pensée. Mais en fait, les motifs de la pensée lui sont toujours postérieurs. Les motifs ne président jamais à l’apparition d’une pensée. Le corps et son environnement momentanés s’imposent, et l’objet immédiat de la conscience, qui est une transposition sélective, s’impose.

Cependant, du fait que nous pratiquions la voie, les choses peuvent changer. Le Souverain de la Loi a déclaré : « Lorsque nous sommes vivants et faisons entendre notre voix, émettons des sons en pratiquant, à ce moment, la Loi merveilleuse devient sensitive ». Lorsque la Loi est gardée en soi, ou écrite, non prononcée, la Loi merveilleuse relève du domaine du non sensitif, ou de la mort. Mais lorsque nous, êtres vivants, la récitons, à ce moment la Loi merveilleuse devient physiquement, concrètement, existante en ce monde. Dès lors, est-il dit, le corps physique, le Corps de communication du Bouddha, apparaît. En récitant Nam Myoho Renge Kyo, nous portons le Corps de communication du Bouddha. Ensuite, faisant naturellement apparaître sa sagesse, le disciple est d’un côté tourné vers le haut, c’est-à-dire vers le Corps de la Loi pour fusionner avec l’aspect réel des phénomènes, et d’un autre côté il est tourné vers le bas, c’est-à-dire vers les êtres à qui il enseigne, en supportant le doute, l’orgueil, la médisance, le refus de comprendre … Il est donc toujours écartelé entre ces deux pôles. Cette fonction est naturelle. Elle apparaît chez tous les pratiquants. D’ailleurs, la vie commence a être intéressante a partir de ce moment, même lorsque la sagesse est encore malhabile. Le grand maître Zhiyi a enseigné : « Entendre la profondeur sans concevoir de crainte ; entendre la vastitude sans concevoir de doute. Entendre le non profond et le non vaste et pourtant avoir le courage en son cœur ». Il s’agit donc d’être rigoureux avec soi-même et souple avec autrui, alors que notre pente naturelle semble être inverse : souple avec soi-même et rigoureux avec autrui.

Le Souverain de la Loi enseigne que : « Les bienfaits de la récitation de la Loi merveilleuse dépassent le cadre de ce que chacun conçoit par son entendement. Ils s’étendent à tous les phénomènes du monde des phénomènes, que ceux-ci soient tangibles ou latents. Les bienfaits de la pratique de la Loi s’exercent librement et sans entraves dans l’infinité phénoménale ». Dans le même sens, et avec une concision qui lui est propre, le Daishonin demande : « Que tous les moines et laïcs interrompent les choses de ce monde momentané et plantent le bon semis éternel ». Le bon semis éternel, bien sur, c’est Myoho Renge Kyo.

Au vu du fait que tout est instantané, au vu du fait que si tout est instantané tout est nécessairement lié au point d’être Un, il en ressort que l’objet provisoire de la conscience exclut la totalité phénoménale dont il est issu. Ainsi, non seulement l’objet momentané de la pensée est un effet, mais en outre il équivaut à la négation, au rejet, au meurtre de tout ce qui lui était simultané. A l’inverse, dans la pratique de l’enseignement du Bouddha, l’infinité phénoménale dont est constitué chaque individu est entraînée dans l’éveil par la pratique de la Loi. Toutes les existences présentes en ce monde se meuvent et fonctionnent en rapport avec la voie bouddhique. L’infinité phénoménale, qu’est-ce ? Vue depuis l’éveil ultime, toute existence est un état, de la souffrance insoutenable à la joie temporaire, il s’agit donc des six voies. Lorsque l’enseignement est divulgué, ou lorsque nous récitons Daimoku, la nature de Bouddha de tous les phénomènes est attirée. En terme de cessation des souffrances, en terme de valeur suprême, tout ce qui est tend vers l’éveil ultime. Dès lors, lorsque nous récitons le Gongyo ou le Daimoku, l’état de Bouddha de l’infinité phénoménale est appelé, attiré, entraîné.  « L’immense principe du Sutra du Lotus représente l’enseignement et la voie guidant l’ensemble du monde des phénomènes. Ainsi, le rassemblement de l’intégralité du monde des phénomènes exprime l’achèvement des êtres ». Cela signifie qu’à chaque instant il y a réunion provisoire d’une infinité de présences achevées, en tant qu’elles-mêmes et par elles-mêmes. L’instantanéité de la présence individuelle est donc le rassemblement d’une infinité et l’achèvement des êtres. Là encore, Parménide avait vu juste.

A chaque instant nous sommes donc liés à une infinité et, dans la mesure ou nous pratiquons, nous l’influençons. « Cela correspond à la fonction d’Une pensée trois mille°, permettant de correspondre avec le monde des phénomènes sans limites ».Et, lorsque le Daishonin indique également : « Le mouvement de la terre dépend du mouvement de la Une pensée momentanée des êtres » c’est également vrai, mais nous ne pouvons ni le voir, ni le mesurer. Si l’on ne pratique pas la voie, par contre, rien n’influence jamais rien réellement. Chaque phénomène existe en utilisant d’autres phénomènes momentanés comme supports, mais rien n’influence quoique ce soit. La présence n’est jamais circonstancielle. Jamais personne n’est blessé ou tué par quelqu’un, personne ne meurt à cause d’une noyade, cela n’existe pas, ce n’est qu’un constat humain irréaliste. A strictement parler, personne n’est responsable de rien dans les six voies, et il n’est pas de « causalité ». « Toute la doctrine de la responsabilité dépend de cette psychologie naïve qui veut que seule la volonté soit cause de nos actes, et que l’on doive savoir que l’on a voulu, pour pouvoir se croire cause. » martèle fort justement Nietzsche. Il n’est que la présence, en terme d’effet, et cette présence s’étend à tout.

Tout à l’heure, nous disions que l’aspect réel de la vie individuelle est antérieur au discernement. En outre, cet aspect réel momentané est nécessairement constitué par le regroupement d’une infinité, et le nombre d’infinités dont est façonné notre parcours personnel est incommensurable. Or, le Daishonin a déclaré que la voie pour devenir Bouddha réside dans les deux lois de la sagesse et de l’objet. L’objet étant l’en soi de l’infinité phénoménale, la sagesse doit fusionner avec cet objet. C’est ce pourquoi nous pratiquons. « La nature de Bouddha que possèdent tous les êtres est appelée Myoho Renge Kyo. Aussi, lorsqu’on récite une fois Nam Myoho Renge Kyo, la nature de Bouddha de tous les êtres ainsi conviée se rassemble ici. Alors, les trois corps du Bouddha se révèlent en nous. C’est ce que l’on nomme devenir Bouddha dès ce corps » a-il également affirmé.

« Si l’on évoque l’essentiel, le principe ultime de la Loi merveilleuse, il s’agit de la grande Loi exprimant la véritable ainsité qu’a attesté le Saint avant le passé hors le temps. Lorsque cette Loi merveilleuse est présente dans le cœur du Bouddha, celui-ci atteint un état immense et absolu, ineffable, inexplicable aisément avec les mots. C’est la raison pour laquelle lorsque le Bouddha, de par son immense compassion, désire sauver les êtres de leurs souffrances grâce à son éveil, il se force à expliquer par des mots le contenu et l’essence de son éveil. Or, même s’il explique avec des mots, fondamentalement l’unique nom de la véritable ainsité absolue est Myoho Renge Kyo ». L’enseignement du Vénéré Shakya s’est poursuivi durant cinquante années. Le nombre de ses propos, c’est-à-dire des sutra, est impressionnant. Pourtant, la grande bienveillance du Bouddha Originel réside en cela qu’il a traduit son état en une formule physique double : le Nam Myoho Renge Kyo et l’objet fondamental de vénération. Pour souligner l’importance de ce fait il est nécessaire de réaliser que jamais personne n’est capable de transmettre son état à quelqu’un d’autre. Jamais vous ne comprenez quoi que ce soit à ce qu’est l’autre. Même si vous l’avez cinq heures au téléphone. Vous n’avez qu’une impression sans fondement ou relative à un sentiment diffus de « similitude ». C’est également vrai pour notre état de vie, au moment ou nous le ressentons. On peut en parler mais en réalité il est absolument intraduisible par des mots. En règle générale, croire comprendre l’autre n’est en aucun cas partager sa réalité. Une mère peut adorer sa fille, mais elle ne peut partager sa réalité. Il n’y a, en général, jamais de communication entre états. Jamais personne, vous parlant de son état intérieur, vous permet de le vivre.

On peut donc ressentir la grande bienveillance du Bouddha Originel qui traduit son état, Myoho Renge Kyo, en terme d’effet de l’éveil, et qui permet ainsi aux êtres humains ordinaires, pollués par toutes sortes de pensées, de faire apparaître l’éveil en eux, tels qu’ils sont, grâce à la récitation.

Le point qui suit est légèrement plus compliqué, mais on va essayer de le traiter simplement. Le grand maître Zhiyi a indiqué, dans ses commentaires sur le sutra du Lotus, que le bon remède que laisse Shakyamuni dans ce sutra peut se comprendre par l’entremise des cinq sens obscurs. Ces cinq sens obscurs sont le nom, la substance, l’intention, l’application et les enseignements.

1- Le nom, c’est ce qui désigne, ce qui nomme. Et quand bien même nous, pratiquants du Bouddhisme, sommes plutôt favorables à la thèse nominaliste selon laquelle les mots, c’est-à-dire les idées, les concepts, n’aboutissent jamais à l’objet, que c’est une foutaise de croire que les mots sont les choses, nous utilisons néanmoins des mots car nous n’avons pas d’autre choix. Pour autant, dans l’enseignement de l’éveillé, de par ses vertus, le nom est la substance.

2- La substance est le deuxième sens obscur, en terme d’état du nom. La substance désigne la nature intrinsèque de toute chose. Le nom et la substance de toute chose sont Myoho Renge Kyo. Dans la doctrine de l’école, et ce, contrairement à la norme chez l’humain, « Le nom a des vertus qui, immanquablement, touchent la substance » dit le Daishonin.

Brigitte : Veut-il dire que, pour Myoho Renge Kyo, il n’existe aucun décalage entre l’état et le nom ?

C’est exact. Il s’agit du seul cas où le nom est la substance. Dans tous les autres cas, le nom est un effet qui ne peut en aucun cas être considéré comme un acte touchant la substance. Par exemple, le vocable Léonard de Vinci a bien pour sens de désigner une personne unique, parmi plusieurs milliards, pourtant la répétition de ce groupe phonétique ne peut entraîner l’apparition de la substance désignée. Cette réalité : le nom est la substance, n’apparaît que dans l’enseignement du Bouddha Originel. Cela n’existe pas dans l’enseignement du Bouddha Shakyamuni, encore que les concepts qu’il a développé durant sa vie, la conditionnalité, la vacuité, la médianité, ont permis à ses disciples de toucher en partie à l’état de vie du Bouddha. Car les concepts étaient porteurs de vertus. Mais l’état de vie de l’éveil ultime ne se produisait pas. En réalité, l’éveil ultime de la boddhéité ne peut être que nommé pour être partagé. Ce n’est donc que dans l’enseignement du Bouddha Originel que le nom est totalement la substance.

3- L’intention, qui constitue le troisième sens obscur, désigne la cause et l’effet, la causalité inhérente à la substance. Tout ce qui est apparaît en terme d’effet, et on peut considérer que ceci étant effet, ceci est simultanément cause de quelque chose. Et bien, quand on parle d’intention inhérente à Myoho Renge Kyo, c’est pour signifier que la cause et l’effet sont contenus simultanément pour former un corps, un corps phonétique. Et si, dans le monde humain, l’intention n’existe pas, à strictement parler, elle existe à son degré ultime dans l’enseignement de l’éveillé. A l’ordinaire, par contre, l’intention n’est jamais un acte, ce n’est que la conséquence de conséquences. Quand quelqu’un vous affirme, désolé, « j’ai fait ça pour ton bien », cela montre à quel point l’intention, chez les êtres, est sans réelle signification.

4- Le quatrième sens obscur, l’application, désigne les répercussions, dues à la pratique de Nam Myoho Renge Kyo, en la personne qui pratique. La pratique de la Loi s’effectue à partir de l’état de vie ultime de la Boddhéité. Dès lors, au sein des troubles les plus divers, l’application de la Boddhéité apparaît en tant qu’effet de l’éveil. Tout à l’heure nous disions que nous ne créions pas de cause en vue de l’éveil, mais que nous partions de l’effet. Nous pratiquons l’éveil en terme d’effet pour faire apparaître en nous la cause. C’est ce qui se passe dans l’application. Bien que nous partions de la base de nos troubles, nous montrons l’effet de l’éveil lorsque nous pratiquons. Nous sommes l’effet de l’éveil. Instantanément. Que nous ne puissions pas le constater clairement dès les débuts de notre pratique est évident, que nous ressentions certaines choses au fur et à mesure est vrai pour tous, mais quoi qu’il en soit on réalise doucement que notre existence prend toute son ampleur sur la base de la pratique de la Loi. Nous ressentons en nous des effets alors même que nous ne pouvons pas mettre de mot dessus.

5- Quant au dernier sens obscur, il est constitué des enseignements. Il s’agit de toutes les morales, de toutes les philosophies et religions des voies extérieures au Bouddhisme, et de tout l’enseignement du Bouddha Shakyamuni ainsi que celui du Bouddha Originel.

« Le nom de la Loi merveilleuse comporte donc la substance, l’intention et l’application. Parce qu’il révèle la pratique et le comportement du Bouddha, il contient les deux significations de la Personne et de la Loi. Il s’agit donc de l’objet fondamental de vénération pour l’introspection de cœur ». Le Honzon et le Daimoku sont l’unité de la personne et de la Loi. Et nous mêmes, qui pratiquons, faisons apparaître graduellement le comportement inhérent à la Loi. « Nichiren Daishonin, depuis l’instant originel hors du temps, constitue la corporéité des bienfaits du passé, permanents et indestructibles, puisqu’il apporte les bienfaits de l’ensemencement en permanence à travers les trois phases du temps » nous explique le Souverain de la Loi. Ce qui signifie que le Bouddha originel, comme toute existence, existe en permanence, et lorsqu’il indique « qu’il constitue la corporéité des bienfaits du passé », il faut savoir que tout existant, ainsi que son environnement, constitue également le corps des bienfaits, ou des méfaits, du passé. Le Daishonin a enseigné : « Le passé infini est l’originel, le présent est l’éphémère ». De ce point de vue, tout existant est le passé infini. Mais ce passé infini, sans origine, hors le temps, dans le cadre des six voies, vous le voyez partout où porte votre regard, l’arbre, la chauve-souris, les étoiles, votre voisin, mais le passé infini avec les œuvres et vertus de la boddhéité, c’est le Myoho Renge Kyo que l’on pratique. Le récitant, il touche tout ce qui est. Le Souverain de la Loi a en effet déclaré que si le Bodhisattva accepte cette Loi, il la propage en l’utilisant.

Marcelle : Quels sont les trois corps du Bouddha ?

Les trois corps du Bouddha sont : le corps de la Loi, c’est-à-dire ce à quoi le Bouddha s’est éveillé, l’infinité phénoménale donc ; ensuite la sagesse qui fusionne avec cette infinité, et enfin le corps physique qui provient de la fusion de la sagesse et de l’infinité phénoménale. Dans notre école, nous distinguons l’Eveil de tout ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire les neuf mondes. On parlera de la souffrance des neuf mondes en opposition avec l’Eveil ultime.

Arlette : On ne peut pas séparer l’humanité en deux : les éveillés et les non éveillés !

Cela ne veut rien dire. L’humanité entière n’est que les six voies. Toute forme est l’expression de l’enfer, de l’animalité, de l’avidité, jusqu’à la joie temporaire. Le monde est les six voies, il n’y a rien d’autre. Après, dans le cheminement vers l’Eveil, on distinguera quatre voies saintes°. En disant bien toutefois que jusqu’au moment de l’Eveil, c’est toujours l’obscurité. Le maître, ce vers quoi l’on tend, c’est l’Eveil. On ne peut s’appuyer sur rien de ce qui apparaît du fait des causes et conditions, on ne peut prendre pour une cause ce qui n’est qu’un effet. Le Bouddha ne relève pas des causes et conditions. « Le Bouddha accorde le bienfait de la permanence à travers les trois phases du temps à ceux qui ont la foi et qui prennent le bon remède de la Loi merveilleuse ». L’ouverture au fait que nous existons en permanence est une question d’Eveil, cela appartient à notre registre.

Richard : comment comprendre la permanence ?

Le temps et l’espace sont inhérents à l’intuition que nous avons des objets, disait Kant, ils n’appartiennent pas aux objets, les phénomènes ne sont pas dedans. Le temps et l’espace sont des choses qui vous paraissaient aller de soi à trois ans, à huit, à vingt, maintenant aussi, et ils vous paraîtront également vrais, bien que différents, dans le futur, uniquement parce que votre corps les produit à votre insu et en permanence. Mais vous n’êtes pas dans un temps et un espace donnés et invariables, qui seraient les mêmes pour tout observateur. Il n’est donc pas de temps et d’espace en soi.

Dans ce sens, penser qu’un Bouddha est apparu avant un autre, ou penser qu’il y en a ou qu’il n’y en pas, n’est toujours que l’état intérieur du sujet. Un état intérieur n’est pas habilité à juger du vrai. Aucune logique humaine ne peut aboutir à l’Eveil. En tant qu’humain, nous voyons notre corps séparé de ce qui ne l’est pas. Mais si l’on évoque l’inconcevable instantanéité de l’ensemble de l’existant, tout est en fusion provisoire. Nous ne sommes donc absolument pas capables de décréter « ceci apparaît ou ceci disparaît » et que cela soit vrai. Vous n’ignorez pas que lorsque l’on prend des mains d’un bébé sa sucette, et qu’on la cache sous le tapis, celui-ci va pleurer car, pour lui, la sucette n’est plus là. Or, à un moment de son développement ultérieur il va réaliser que l’objet peut continuer à exister, sous le tapis, bien qu’il ne puisse la voir. Et c’est un des grands moments de l’apprentissage de l’enfant que de réaliser que l’objet existe, alors même qu’il ne peut le percevoir. Les humains adultes, tels des enfants, croient pouvoir juger de ce qui est ou de ce qui n’est pas, voient apparaître ou disparaître des choses alors que jamais rien ne peut ni apparaître ni disparaître, selon l’éveillé. Alors, si les humains passent triomphalement l’épreuve de la sucette cachée, ils restent aveugles quant à l’aspect réel des phénomènes.

Au moment de la mort, le corps humain est différent de ce qu’il était lors du vivant. Ce n’est plus qu’un agrégat de structures qui va se désagréger. Pourtant, nous ne percevions pas non plus son étendue, lors de ses naissances et morts simultanées, lors de son vivant, que nous ne percevons sa réelle fusion, lors de sa mort. L’étant est infini disait Anaxagore. L’instantanéité de l’existant est une fusion. Toutes les subjectivités sont permanentes ou, plus exactement, hors le temps. Le Souverain de la Loi a affirmé : « Le sutra du Lotus considère le moi comme étant la fusion parfaite de la conditionnalité, de la vacuité et du milieu, le moi étant inconcevable ». Cela signifie que le vrai moi s’étend sans limite à l’ensemble des phénomènes et que l’objet momentané de la conscience, qui est le passé immédiat de l’aspect réel, n’est qu’un moi réduit, multiforme, fugitif et masquant. Au sein de la conditionnalité des phénomènes, tout change constamment, tout est issu de la richesse de la vacuité, toute forme possède les dix états, la présence est permanente. Ce point est clarifié dans toute sa grandeur dans l’école chinoise du Tiantai. Au reste, le grand Parménide d’Elée avait soulevé le voile sur ce point, mais ses successeurs se sont empressés de tout recouvrir.

Revenons-en au sujet du cours, « Les cinq caractères de Myoho Renge Kyo ne sont pas les phrases du sutra, ils n’en sont pas le sens, ils en sont uniquement le cœur ». Lorsque nous récitons Nam Myoho Renge Kyo, quelqu’un peut nous demander « ça veut dire quoi ce que tu racontes ? ». Parce qu’il est vrai qu’humainement nous nous attachons au sens des mots. Mais là, en l’occurrence, il ne s’agit pas du sens. Le cœur du Bouddha, c’est-à-dire son intention, son état, est Myoho Renge Kyo. Il se fait que le sens de chacun des mots myo, ho, renge, et kyo, est si riche que l’on pourrait faire un cours de cinquante heures sans épuiser le sujet. Le sens en est extrêmement profond, mais l’important réside dans ce qui est contenu au sein des cinq caractères, c’est-à-dire l’état ultime du Bouddha. Pour cette raison, le Daishonin dit encore : « Il n’est pas de production dans le fait de réciter à haute voix Myoho Renge Kyo ». Réciter Nam Myoho Renge Kyo est immédiatement l’apparition de l’éveil. Ce n’est donc pas pratiquer en vue de… Pratiquer pour quelque chose est nécessairement une tromperie vis-à-vis de soi-même. On se leurre. Le Souverain de la Loi dit également que pratiquer en se centrant sur l’obtention de bienfaits fait quitter la voie correcte. Qu’on ait des troubles, que l’on préfère être plus jeune, plus malin, avoir plus de cheveux, moins de poids, tout le monde semble avoir ce type de désirs, mais pratiquer la voie en se centrant sur l’obtention de quelque chose nous éloigne de la voie.

Tout le monde est fatigué, on arrête le cours ?

Encore un peu ? si vous voulez.

Toujours à propos de l’instantanéité des choses et au fait que tout soit lié, le Bouddha Originel déclare : « le passé infini est Nam Myoho Renge Kyo », et : « les cinq éléments, la terre, l’eau, le feu, le vent et l’espace du monde des phénomènes sont les cinq éléments du corps unique. Le monde des phénomènes est Nichiren, Nichiren est le monde des phénomènes ». En fait, l’éveil ouvre sur l’identité de la personne et de l’infinité phénoménale, l’infinité étant le propre corps du Bouddha Originel. De la même manière, pour exister, nous utilisons inconsciemment ces cinq portes que sont l’eau, la terre, .., puisque notre corps en est constitué. Et là ou nous percevons un moi qui se caractérise par la beauté, la finesse, l’élégance, la force physique ou je ne sais quoi, il s’agit en réalité d’une utilisation provisoire des cinq éléments dont est constitué l’ensemble du monde des phénomènes. Il en va de même dans le monde de l’éveil mais, cette fois, en toute connaissance et en toute liberté.

Le Bouddha Originel, dans un commentaire des premiers mots des vers Jiga, du Lotus, que nous récitons matin et soir, nous enseigne que « Ji », le premier caractère et « shin », le dernier, forment ensemble : « jishin », et que jishin signifie « le corps lui-même » ou « à partir du corps ». Autrement dit, puisque le Bouddha ouvre son corps comme étant le monde infini des phénomènes, à ce moment, le monde infini des phénomènes devient également le « corps qui de lui-même reçoit et emploie ». Dès lors, les vers « Jiga toku burrai » représentent le corps entier du vénéré Shakyamuni. Le Daishonin affirme : « Les stances jiga représentent le corps qui de lui-même reçoit et emploie ». Représenter signifie rendre présent, rendre sensible, mettre devant les yeux, et donc, lorsque nous récitons les vers jiga, le corps du Bouddha apparaît. Et ceci du fait que, grâce à sa sagesse, le Bouddha utilise librement l’intégralité phénoménale pour exprimer son état.

Et de fait, il en va de même pour nous. Nous utilisons, inconsciemment, l’intégralité phénoménale pour exister dans ce qui nous semble constituer un environnement extérieur. De la même manière, produire un accident ou une maladie, par exemple, c’est également une utilisation inconsciente de l’infinité phénoménale. Que ce soit à l’occasion de la poussée des seins ou de la perte des cheveux, nous utilisons toujours, sans nous en rendre compte, l’infinité des phénomènes. Il s’agit donc de la même chose quand nous récitons le sutra du Lotus, le Bouddha, utilisant librement le corps et l’esprit de l’infinité phénoménale, y présente son corps. Quand nous récitons le Lotus, nous faisons ainsi la même chose que le Bouddha Originel, nous accomplissons les rites comme lui accomplissait ses actes, nous sommes alors les porteurs présents de l’action du Bouddha Originel. «  Nam Myoho Renge Kyo est ouvrir le non produit » a enseigné le Daishonin.

Pour finir, Nichikan Shonin a déclaré : « Le passé infiniment lointain réside dans le monde présent. Aujourd’hui est le passé infiniment lointain. L’origine de l’école Nichiren ne remonte pas uniquement à sept siècles et demi ». Le sutra du Lotus est impossible à comprendre sans la transmission secrète de Bouddha à Bouddha. La transmission qu’a reçu le Daishonin est plus ancienne encore que les enseignements du vénéré Shakyamuni en Inde. Il dit également « Lorsqu’on pratique, on peut exprimer sa reconnaissance envers les grands bienfaits illimités. Cela signifie détruire les hérésies et remercier les vertus ». Pour cette raison, le Daishonin nous révèle que : « Nous sommes les grands ennemis de tous les êtres ».

Merci de votre attention.

 

Index

Ainsi venant : skt. Tathagata. Jap. Nyorai. Un des dix qualificatifs du Bouddha. Celui qui est parvenu à la réalité même, et celui qui en est venu « Ainsi ». Nichiren Daishonin nous indique : « En vertu du principe , on dit Ainsi, et en vertu de la sagesse on dit Venant.

Conditionnalité : jap :Ke. Principe selon lequel tout naît et disparaît du fait des causes et des conditions.

Dix Ainsi : jap. Ju nyoze. Extrait du deuxième chapitre, « Moyens », du sutra du Lotus. « Seulement de Bouddha à Bouddha l’aspect réel des phénomènes est saisi dans son intégralité. Ce qui signifie que pour tous les phénomènes : Ainsi est l’aspect, ainsi est le caractère, ainsi est la corporéité, ainsi est le pouvoir, ainsi est la production, ainsi est la cause inhérente, ainsi est la condition, ainsi est l’effet, ainsi est la rétribution, ainsi est l’absolue égalité de l’origine et de la fin.

Dix états ou mondes : jap. Jikkai. Dix qualités de l’en soi des phénomènes. Ces qualités sont : l’enfer, l’avidité, l’animalité, l’orgueil, l’humanité et la joie temporaire pour les six premiers mondes. Les quatre dernières, également nommées les quatre voies saintes, sont : l’écoute de l’enseignement du Bouddha, l’éveil partiel par les facteurs, Bodhisattva et Bouddha.

Médianité ou voie médiane : jap. Chu. Dans le Tiantai et dans notre école ce concept ouvre sur l’absolue pérennité des dix mondes au sein de la forme. Il s’agit de la fusion de la conditionnalité, de la vacuité et de la médianité dans la présence qui, de ce fait, est l’ultime.

Quatre voies saintes : Voir dix états ou mondes.

Six voies : Voir dix états ou mondes.

Triple corps : Le Corps de la Loi Hosshin, le Corps de Rétribution Hoshin et le Corps de communication Ojin.

Trois grandes lois ésotériques : jap. San Dai Hiho. Nam Myoho Renge Kyo, l’objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur, et l’estrade de réception des préceptes. Ceci est le fondement de la doctrine de l’école orthodoxe Nichiren.

Trois mille phénomènes : jap : sanzen. Partie de l’expression « Ichinen sanzen » qui signifie « Une pensée trois mille ». Trois mille évoque l’infinité phénoménale. Une pensée désigne « inclure et imprégner » selon Nichikan Shonin. La Une pensée inclut l’infinité et l’imprègne.

Vacuité : jap. Ku. Principe selon lequel, puisque tout provient des causes et des conditions, il n’est pas d’en soi fixe. En outre, ce principe affirme l’infinie richesse, de l’enfer à l’éveil ultime, de tout existant.

 

 

4° de couverture :

 

« Ce que l’on nomme Loi du Bouddha est la logique. Ce que l’on nomme logique est ce qui surpasse le Souverain ». Nichiren Daishonin.

 

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